6.1. Sur l’imbrication, l’enchevêtrement des hypothèses et la complémentarité de la fonction de la photographie

Si les SEU nous donnent des images, j’ai aussi, de mon coté, trouvé des mots qui donnent des images au lecteur. En ce sens les mots contribuent à « fabriquer » des images mais aussi, fournissent un contenant langagier à ces images.

J’ai évoqué la fonction de « contenance imageante » de la photographie avec le cas « Déchetterie » (II, 2 :4)et en particulier, l’aspect dynamique, actif et transformateur de la fonction conteneur. La spécificité de la photographie auprès des sujets de mon étude met en avant cette fonction.

La photographie comme « pré-texte » à la rencontre et à l’apprivoisement des sujets

Cette fonction développée avec l’hypothèse n° 3 est également utile pour le clinicien et la photo a servi dans le sens de « conteneur d’images » mais également de « pré-texte » et une forme de supportà plusieurs niveaux :

La photo permet d’illustrer de la capacité réceptive de l’objet de l’hypothèse n° 2. J’ai commencé cette recherche en disant que la photographie me servait de pré-texte à partir duquel il m’était possible de m’organiser pour effectuer une recherche en psychopathologie concernant le fonctionnement psychique des SEU. Plutôt que d’obtenir une photographie concrète, la photo me permettait d’approcher et d’apprivoiser plus facilement le sujet. Des éléments de cette rencontre restent inscrits dans ma mémoire et sur la pellicule du film mais le pré-texte de la photo a permis que certains éléments soient filtrés jouant un véritable rôle depare-excitation par rapport au regard et à la rencontre.

Le recours au Mythe de la dame à la licorne (III, 5 :2)a montré comment la dimension imaginaire aparticipé à l’élaboration de la clinique et m’a permis de contenir les images auxquelles j’étais confrontée.

La photographie a fonctionné comme support de ma propre écriture et ainsi, avant même de commencer à rédiger la thèse, pendant ces années de maturation, les images mentales sont restées, contenues mais actives anticipant le texte. Pendant la rédaction, le pré-texte de la photo permettait un va et vient entre la réalité, le souvenir et la projection de mes propres interprétations face aux images. Ce temps de recul, ce pré-texte fourni par la photo, a servi de « pare-avant » à l’écrit mais aussi joué ce rôle de conteneur d’images. En fournissant un cadre, elle permet l’intégration des réminiscences donnant ainsi un contenu à une matière interne. Cependant la photographie constitue en elle-même un contenu. D'une part, elle condense les regards et les représentations sur l'objet photo, mais d'autre part elle partialise les images en les diffractant comme nous le verrons plus loin.

La photo dans la localisation et dans le déplacement psychiques

En un certain sens, la photographie « fixe » la personne dans un endroit. Il est donc intéressant d’essayer d’appréhender le rôle de ce phénomène pour les sujets en errance (et pour l'accompagnant), notamment dans la mesure où plusieurs d’entre eux souffrent d'un manque de capacité représentationnelle. Grâce à la photographie, l’errant se voit en effet offrir la possibilité de se projeter et d’expérimenter une forme de déplacement psychique, déplacement dans lequel la photo sert d’intermédiaire en lui permettant de se « voir » localisé dans un autre lieu. Ainsi, il peut non seulement se représenter comme ayant existé dans ce lieu à un moment donné de son histoire, mais en outre sentir qu’il reste inscrit dans la mémoire dela personne qui lui montre sa photo et également dans la mémoire de celui qui le prend en photo. A ce titre, la photographie participe au sentiment de continuité de son existence. Nous savons que le simple travail autour de la photo ne va pas pallier au défaut de l’expérience essentielle du « holding » (dans le sens où Winnicott en parle), dont relèvent beaucoup de ces sujets. Etre tenu par et dans le regard d’autrui permet un point d’étayage pour ces sujets qui manquent de « holding » et qui souffrent d’une fonction de contenance défaillante.