Conclusions. Dimension Clinique

Cette thèse est centrée sur le travail du clinicien, sur son positionnement dans l’accueil, mais surtout sur son regard qui est déterminant dans la création et dans l’investissement du lien. Le regard se déplace ainsi de la pathologie de l’individu en direction de la capacité du clinicien à contenir ce que celle-ci lui donne à voir, entendre et sentir ; cela sous entend un regard sur ses propres éprouvés.

Si l’hypothèse n° 1 exprime les symptômes et les processus psychopathologiques : un « effet déchetterie » est dû à ce qui est non-contenu de la part de ces sujets,la sous hypothèse n° 1 postule une « solution » : des images chez l’autre pour lier psychiquement ce non-contenu. La psyché de l’autre, ainsi déstabilisée face à ce caractère étrangement obscène, permet paradoxalement au SEU de construire ses propres limites. Plusieurs auteurs ont contribué à l’articulation théorico clinique de cette hypothèse.

On peut considérer que l’effet déchetterie constitue une stratégie symbolisante qui consiste à « faire sentir à l’autre » au sens de R. Roussillon puisque la dimension sensori-perceptive de l’autre participe dans une activité auto représentative du sujet . Freud indique que l’appareil psychique travaille à partir de l’inscription des expériences sous forme de traces mnésiques perceptives. R. Roussillon nomme « symbolisation primaire » le processus par lequel les traces perceptives sont transformées par l’expérience en représentation de chose. Mon hypothèse concernant un « système de déposition en image » me semble être proche de l’activité de symbolisation primaire au sens où l’entend R. Roussillon (1995, p.1479). Le Moi vise à s’auto-représenter dans les processus par lesquels il a « traité » le mouvement pulsionnel et il produit un fantasme le mettant en scène avec l’objet. L’externalisation dans l’objet matériel permet aux traces mnésiques de l’expérience antérieure d’être reprises à partir de leur représentant.

Dans le système que je décris, le corps en présence, celui des SEU mais également celui des accompagnants, donne lieu a des images et à des représentations. J’ai amplement « montré » ce que ces sujets nous dévoilent de leur intimité corporelle et combien cela est souvent repoussant. Avec ce système de déposition en image chez autrui, c’est cet autre qui se sert de ses propres traces mnésiques pour transformer ce que le sujet (le déposant) laisse sous forme de « reste » et de dépôt. La symbolisation primaire passe par le pôle perceptif de l’autre (en tant que dépositaire). Ce que je souligne de spécifique ici relève de notre capacité, en qualité de clinicien ou d’accompagnant, à accueillir ces dépôts et de les interpréter, en fonction de notre faculté à les saisir et à jouer avec les images qu’ils mobilisent en nous. A cette condition, ils sont transformés en sens au travers de la dimension sensorielle, non pas celle du SEU, mais bien la nôtre qui est impliquée et parfois contrainte à effectuer ce travail.

En ce sens l’« effet déchetterie » que je propose se situe dans une perspective proche de celle développée par B. Duez avec le transfert à figuration topique. Je considère que cette dimension étrangement obscène des SEU, consiste à laisser des traces mnésiques sensorielles (et des scènes), qui mobilisent les limites des deux protagonistes.Ces sujets obligent l’autre par le biais de dépositions non-contenus et non-liés, à leur renvoyer en permanence une image, en négatif ou en positif, d’eux-mêmes. Leur expérience comporterait-elle un défaut de la fonction réflexive du miroir - fonction qu’ils chercheraient à provoquer ou retrouver dans la préoccupation maternelle du clinicien, de l’institution, du soin, ou du dispositif ?

Je dégage ainsi un processus permettant aux sujets d’accéder à une construction : sorte de « précipitation  » ou de « pont archaïque   en images » qui se comporte comme un miroir, car ce qu’ils provoquent chez l’autre (en sensations et affects) leur revient. Cette contrainte, qui impose à l’autre de leur renvoyer des images, montre leur difficulté à sentir la trace laissée chez l’autre.

L’hypothèse d’une « symbolisation originaire  » de D. Derivois (2003) qui témoigne d’une non-trace, inspire cette idée. Selon lui, l’inscription de cette même trace serait recherchée par le « sentir ». Le défaut de cette inscription serait traumatique et sa remise au travail passerait par la diffraction sur l’autre des motions sensorielles, qui « diffuse, diffracte ses fragments sur les scènes corporelles, sociales et psychiques dans le but de faire advenir un sentir originaire » (D. Derivois, 2004, p.184). Dans ma clinique, j’envisage que le « faire sentir avec » et « sentir pour l’autre » passe par l’archaïque et sa forme ambiguë (pour construire une trace sensorielle).

En analogie avec leurs conduites « en agir » et « en précipitation », la pensée de l’archaïque (B. Duez, 2004) donne forme à ces contenus.

J’arrive à penser que quelque chose s’organise pour ces sujets par le biais des contenus archaïques qui se déposent, prennent forme, et se précipitent dans une tentative d’établir ainsi une connexion en images sensorielles. La formule de Freud (1909), « la forme est le précipité d’un contenu plus ancien », comporte la notion d’une continuité entre les premiers temps et l’actuel mais contient également, la notion d’une transformation. La topique de l’archaïque oscille, elle aussi, entre l’inerte et l’animé, entre contenu et forme, entre cadre et processus.

En faisant trace dans l’actuel par cette dimension archaïque, ce « pont en images » permettrait ainsi à ces sujets de retrouver la trace première des expériences précoces. Avec ce retour en images ils retrouveraient la manière dont ils ont existé dans le regard de l’autre et dont ils ont été l’objet des premiers soins. Ils fabriquent ainsi les conditions pour retrouver :

  • leur propre trace
  • la trace de l’autre
  • la trace du lien à l’autre

Ce processus s’appuierait sur ce que je qualifierais de « pont archaïque ». Sa fonction est double : fonction de continuité que je viens d’évoquer et, face à leur problématique d’indistinction et de perte, l’hypothèse d’une fonction de délimitation. Les contenus archaïques des SEU produisent un affolement de la psyché de l’autre. Cet affolement se précipite jusqu’à devenir un contenant psychique. Une mise de limites entre le SEU et ce dépositaire est fourni par la fonction réflexive de la part du dépositaire qui renvoie au SEU des indices lui permettant de s’auto informer. Ce pont archaïque les aide à mieux différencier les espaces/temps, de faire la distinction entre les diverses surfaces bio/psycho/sociaux et à être plus adaptés à réalité interne et à la réalité externe.

Par le biais que j’ai développé avec l’hypothèse n° 2 et le recours de « la capacité réceptive de l’objet ». C’est l’autre que ces sujets trouvent dans l’espace public sur lequel ils s’appuient pour tenter de symboliser de façon primaire, originaire et même archaïquementleur expérience. Comme matière à symboliser, ils se servent des dépôts-déchets , matière inerte, mais qui est rendu dynamique grâce au système de déposition en image en lien avec le pôle sensori-perceptif d’autrui, développé avec l’hypothèse n° l. Ma clinique montre que là où la déposition en images peut se faire, (grâce à la capacité réceptive de l’objet) cela fonde le lieu. J’ai rapproché ce qui fait « lieu » pour ces sujets aux fonctions du cadre. En appui sur la perspective de J. Bleger (1966), le dépôt se fait dans ce qui fait cadre. L’utilisation que font les SEU de l’espace public, en lien avec leurs besoins et la dimension sensorielle de l’autre, trouve une « logique » avec l’éclairage de R. Kaës, pour lequel ce qui a valeur psychique de dépôts d’étayage, de contention, fait partie de nouages qui constituent l’arrière-fond des espaces interpsychiques (1993b, p.112).

Le clinicien est confronté (hypothèse n° 2) non seulement avec le type de lien que leur organisation psychique produit, mais également avec les « qualités » du lieu où ce lien se noue, ce qui amène à réfléchir sur ce que je développe avec la notion de « capacité réceptive de l’objet  ».

Il me semble que pour ces sujets pour lesquelles la place, l’espace, le lieu leur échappe (ou bien il est partout), il ne peut y avoir de lien sans qu’un lieu ou un espace leur soit d’abord fourni. Ils ne manquent pas forcement d’espace mais ils sont dans l’incapacité de se l’approprier et de le gérer.

Cette capacité réceptive d’objet fournit, dans les limites du lien d’accompagnement que j’ai précisées, des dimensions de continuité et de communauté et fait métacadre (R. Kaës 1993b, p. 320). La capacité réceptive de l’objet comporte la fonction de contenance, de conteneur d’images, d’empathie, de médium malléable, de pare excitation, de transformation des dépôts. Elle donne au sujet le sentiment d’exister pour le sujet lui-même, pour autrui et pour l’objet.J’ai démontré comment l’espace public devient lieu (site) où ce rapport entre cette fonction ou la carence de cette fonctionsedévoile avec « obscénalité ». J’ai développé les traces laissées par cette rencontre en lien avec :

  • l’identification projective (III, ch.1 :3)
  • l’institution (III, ch.1 : 4)
  • le cadre clinicien (III, ch.1 :5)

J’envisage cette capacité réceptive comme occupant une fonction proche de l’objet externe au sein de la symbolisation primaire et de la fonction symbolisante de l’objet tel que R. Roussillon (1995a, p. 1491 et 1999a, p. 169) le théorise. L’objet externe, pour incarner la fonction du médium malléable, accepte de perdre une partie de son privilège d’objet différencié, séparé. Ceci se rapproche de la fonction transformationnelle de la « rêverie maternelle » selon W.R. Bion. On peut espérer que des dispositifs de prise en charge auprès de ces sujets puissent, par leur capacité de rêverie, fournir des phénomènes transitionnels et des espaces/ temps nécessaires et spécifiques à ces sujets. Le clinicien doit parfois faire le deuil de revêtir un jour un statut distinct, séparé. La capacité réceptive de l’objet est l’altérité du clinicien. C’est sa capacité de représenter le lien entre lui et ces sujets qui contribue sans doute à l’altérité des sujets et à maintenir un entrejeu symbolisant. Ces sujets utilisent des mécanismes projectifs. Sans le recours de la capacité réceptive de l’objet, ce qui est projeté risque d’être perdu. On peut envisager cette fonction de l’objet comme une sorte de « lieu potentiel » à condition qu’un sujet puisse se servir d’un espace disponible chez l’autre (tel qu’il le ferait d’un objet psychique ou d’un lien d’accompagnement).

Si la capacité réceptive de l’objet peut être envisagée comme un espace dans lequel intervient une activité de l’objet (qui est une personne) envers un autre sujet, cela suppose de la part de l’objet une activité qui serait de l’ordre de:

  • une reprise de ce qui fait trace
  • une transformation de l’identification projective
  • une intrication par la reprise et la transformation concernant ce qui est désintriqué ou non- contenu chez ces sujets.

L’aspect sensoriel visuel est l’abord que j’ai saisi comme base de travail par le biais de la photographie. La photographie constitue en elle-même une trace mnésique sensorielle originaire (au sens de P. Aulagnier). Et pourquoi le visuel plus que les autres canaux sensoriels ? Sans doute parce que le visuel met à distance et évite, dans la prise en charge, d’être trop touché par l’effet déchetterie. Mais aussi, il constitue un support à l’analyse. C’est pour cette raison (dans l’hypothèse n°3 et sous-hypothèse n°3) que je m’appuie sur la prépondérance du canal visuel et de la dimension scopique à l’œuvre également dans la photo et que je propose comme :

  • objet intermédiaire dans l’accueil avec une fonction de « contenance imageante » partagable
  • révélateur de leur fonctionnement psychique (problématique psychique d’indiscrimination due au débordement du système pare-excitation)
  • objet-fonction d’interface contenant/contenu : fonction qui fait défaut dans leur psychisme et à laquelle la photographie tente de pallier.

La clinique « sauvage » nous montre que ces sujets ont une réelle difficulté avec leurs papiers administratifs où il faut une photo d’identité. Il est rare qu’ils nous montrent leurs photos de famille. Ce travail qui chemine par la photo et la déposition en image peut aussi, en dehors de la photo, contribuer à une meilleure appréhension de soi dans leur prise en charge.

Ainsi, à partir de ces hypothèses, on peut passer d’un niveau d’autoreprésentation au niveau plus « méta » de la symbolisation. Supposons que cette possibilité repose sur la double dimension du canal visuel : celle liée à la notion de plaisir et celle située du coté de la captation scopique et de l’emprise. J’ai, en effet, surtout dégagé des situations où l’image de soi est renvoyée en miroir par l’autre. Cette fonction « réfléchissante » est souvent à l’œuvre dans l’accueil des SEU, comme elle l’est dans l’entretien en face à face, en situation thérapeutique. En plus d’un retour positif de soi dans les yeux d’autrui, le sujet se voit en train d’être regardé et investi par l’autre. Il s’agit d’une situation où il interagit avec l’objet, créant des transformations réciproques entre les deux protagonistes.

Instrument technique, la photo fait également relation puisqu’elle comporte des éléments constitutifs de l’approche de l’autre. Elle permet aux sujets de se protéger en utilisant leurs mécanismes de défense. Je reprends ici quelques éléments à l’oeuvre dans les processus de l’identification et de projection qui opèrent également avec la photographie. S. Tisseron saisit bien ce statut ambigu qui la place entre illusion et manque, entre projection et identification :« L’image photographique (…) se donne pour le substitut de ce qu’elle reproduit et, en même temps, comme signe de ce qu’elle n’est pas »(1995, p. 178). Une inversion contenant/contenu s’opère en permanence dans la mesure où la photographie est à la fois contenant imaginaro-symbolique d’une réalité et contenu de cette réalité.

L’introduction de la photographie permet de dégager une place pour la spécificité du visuelsur les autres sens, puisque l’image joue un rôle fondamental au sein de toute représentation. La « pensée en image », qui se sert de l’objet- photo, trouve, à ce titre, une place privilégiée parmi les éléments constituant le processus primaire. Parmi les divers canaux sensoriels qui donnent accès à la mémoire archaïque et aux traces de celle-ci, le canal visuel semble intéressant à exploiter puisque la dimension visuelle permet une connexion avec autrui tout en respectant le besoin des sujets d’une mise à distance, d’un médium modulable, et celui de conserver un certaine maîtrise.

Il semble important de réaliser des photos non seulement en pied et de leurs visages mais également de leurs objets et leurs lieux. « Fixer » avec la photo ces objets externes, tel le chien de Jacques, la tente de Michel ou le squat pour d’autres, est une approche « en décalé ». Ces possessions qui comptent pour eux sont intimement liées à leur identité, constituant même parfois une prothèse de celle-ci. Leur considération et leur valorisation par le biais de la photo rend narcissisante celle-ci et permet de diffracter une attention qui, centrée sur leur personne, s’avérerait être trop directe. Si cette recherche dégage plusieurs médiateurs, avec leurs fonctions et leurs spécificités, elle permet aussi de penser la synergie entre eux. On peut évoquer dans ce registre la photo (C. Vacheret, 2006), mais aussi le lieu, la relation clinique, les objets intermédiaires tels que l’objet-photo ou le chien. Cette position « entre-deux » a toute sa place auprès de sujets eux-mêmes « ni dedans, ni dehors ».

L’hypothèse n° 4 postule une similarité entre l’investissement du lieu et les caractéristiques de la photo. Les effets confusionnants liés au manque d’interface contenant/contenu dans leur fonctionnement psychique influent sur leur monde externe et dans l’espace social.

La proposition de la photo s’appuie sur les représentations du corps et permet de vérifier l’état du contenant interne, lieu des figurations. Si la photo s’offre comme support centré sur l’image du corps, en toile de fond figure le rapport du SEU à l’espace (l’espace étant autant celui du lieu d’habitat que celui du lieu psychique). Ce travail montre que leur localité se situe à la surface ou en interface.

Nous avons vu que ces personnes ne rentrent que rarement dans un bureau ou dans un cadre thérapeutique classique. En pensant la construction du dispositif et la question du lieu, il est donc important de considérer que ces sujets qui ont perdu tout ancrage restent en surface pour ne pas souffrir du vide et du manque causé par le déracinement. Pour eux, c’est donc par la surface que se construit le lien.La prédilection de ces sujets pour une position en surface ou une position à l’interface entre le dedans et le dehors nous permet de mieux comprendre pourquoi il est important pour eux de pouvoir entrer et sortir facilement des lieux, regarder par les fenêtres et être, comme je l’ai souvent évoqué, « mi-dedans/ nid dehors ». Puisque cette position constitue leur lieu d’ancrage, leur approche nécessite des aménagements spécifiques face à leur localité psychique.

J’ai développé la notion de « surface d’habitation » en établissant une analogie entre la manière dont ils habitent leurs différents espaces et celle dont ils investissent et traitent la surface de leur corps. Les effets de la confusion topique des instances psychiques sont rejoués dans les liens intersubjectifs et dans la confusion ou le renversement entre ce qui constitue l’espace public et l’espace privé.

La surface de l'habitation, tout comme la surface du corps, est un site de passage entre intérieur et extérieur. Auprès des sujets en « organisation limite », des similarités peuvent être dégagées dans la manière dont s’opère ce passage dans l’une et l’autre. Le cas de Demo et de Riri, couple punk illustre cette prédilection pour une position « en surface » comme espace de figuration de l'expérience (surtout traumatique). Pour ces sujets, la position en surface semble indiquer un avatar de l'intériorité et peut être envisagée comme révélateur ou comme une toile où vient s'inscrire la manière dont ils ont été habités par l'objet. Ainsi, la surface "dévoile" au dehors l'histoire intime du sujet.

Le lien entre l’investissement du « lieu » et la photographie .

La photographie se centre, à priori, sur l’apparence ou sur la surface, et je l’ai utilisée tant comme méthode d’approche que comme médiateur. Cette dimension « entre-deux » de la photo est particulièrement intéressante avec les SEU. Elle permet à chacun une marge de jeu autour de la photo et une souplesse entre image externe et image interne, laissant à tout moment la liberté à ces sujets de s’approcher de l’une ou de l’autre. J’ai développé avec l’hypothèse n° 4 la notion de la photo comme médiateur tenant compte de la localitépsychique des SEU située à l’interface entre dedans et dehors. Médiateur également pour moi comme mode d’entrée en relation avec les sujets et support de ma propre écriture pour ma recherche.

La photo métaphorise le processus de symbolisation. La pellicule sensible est exposée à la lumière, et laisse une trace – trace à partir de laquelle émerge l’image photographique. De la même manière, à chaque fois que le psychisme du sujet est exposé à une expérience, celle-ci (faite avec l’objet ou l’espace) laisse une trace dans la psyché. La façon dont cette expérience a été traité (ou non) se manifeste au regard de la symbolisation. L’état des enveloppes psychiques permet de contenir, transformer, symboliser (ou non) ces traces.

Auprès des sujets pour lesquels les enveloppes psychiques sont fragiles et ne peuvent contenir l’intensité des mouvements psychiques, la fonction de « contenance imageante » del’hypothèse n° 3participe au traitement des traces de l’expérience. Rappelons les photos suspendues dans le lieu A, un peu comme s’il s’agissait de photos de famille représentant une appartenance possible et une filiation pour les sujets. D’après ce qu’ils disent, même quand ils ne sont pas, - ou plus- là, l’image qu’ils laissent dans ce lieu reste et leur donne l’impression d’être inscrits dans un espace/temps et contenus dans la mémoire d’autrui.

La photo a le mérite de fonctionner comme « starter » à partir de duquel s’amorcent le souvenir et la mémoire. Le climat affectif et le contexte favorisent la mobilisation et l’actualisation des traces mnésiques autour de l’image photographique. La présence d’un tiers peut être associée à l’éprouvé que la photo mobilise, ou également influer sur le type de l’éprouvé.

Lien entre la photo et les pratiques adaptées à ces sujets

La photo est comme une représentation du regard et en reprend de façon métaphorique certaines fonctions. Celui porté sur une image photographique est moins intrusif et davantage pare-excitant que le regard direct ou le reflet « en miroir ».

La photo est également un objet-trace, ce qui revêt un caractère essentiel dans l’approche de ces sujets. Rappelons-nous comment, dans leur fonctionnement, ils laissent trace à la surface de leur environnement : ceci a pour effet de solliciter l’autre. La photo, comme je l’ai démontré, exerce également une fonction de cet ordre. C’est pourquoi, afin de faire lien, je préconise auprès de ces sujets une approche où ils voient, entendent, et sentent qu’ils touchent l’autre, ainsi que le permet une approche humaniste (du moins sur le terrain), du type « Approche Centrée sur la Personne » qui semble la mieux adaptée, compte tenu de l’importance pour ces sujets de produire un effet chez l’autre, de le marquer, et ainsi de laisser, à l’instar de la photo, une trace de leur passage.

J’ai mis en avant la vulnérabilité de ces sujets due à leur manque d’abri (matérialisé par la surface d’habitation) mais également à leur manque de limites bio/psycho/sociales. Je propose de penser comme structure délimitante en direction de ces sujets, « la capacité réceptive de l’objet » - notion que je développe en appui sur le concept de rêverie maternelle de Bion. Véritable barrière de contact, la capacité de rêverie de la mère fait de la fonction alpha une structure qui filtre les éléments bruts et les transforme en éléments pensables.

Il en est de même de la capacité réceptive de l’objet qui traite, elle aussi, des éléments bruts et archaïques. La déposition des images et la réactivation des traces mnésiques sensorielles chez l’autre fait vivre au dépositaire un phénomène proche du rêve éveillé. La capacité réceptive de l’objet, lorsqu’elle reçoit les images sensorielles, constitue une instance qui accueille, traite et transforme ces éléments, et permet de penser l’autre. Elle constitue également une structure ou « un lieu » dans le sens où elle met des limites, des frontières et des repères.