Ouverture et réflexions sur une dimension « écologique » psychique

Dans notre société de consommation, le politique lui-même prend conscience des limites des ressources de la planète et des enjeux du traitement (tri, recyclage …) des déchets que nous produisons. Il nous arrive, au travers des associations et des mouvements divers, de noter une sensibilisation croissante à la récupération et la remise en circulation de ce qui est « usagé ». Cette tendance se manifeste au sein d’industries, et d’entreprises à rechercher des solutions en termes de « visibilité d’économie », de « développement durable » d’ « énergie renouvelable ». A l’issue de cette recherche, il m’est apparu une similitude métaphoriqueentre la récupération, le traitement que la société réserve aux déchets issus de notre consommation et la reprise de « l’effet déchetterie » (hypothèse n° 1) produit par cette frange particulière de la population. J’ai dégagé dans le fonctionnement psychique des SEU une quête de « trace longue conservation » et une « reprise des traces anciennes ». Au fond, ces termes ne renvoient-t-ils pas à la nécessité d’une forme de « recyclerie 53  », qui se situerait du coté de l’objet (clinicien, accompagnateur) ? Avecl’hypothèse n° 2,j’ai nommé ce processus « capacité réceptive de l’objet », appareil susceptible de reconnaître, de reprendre, et de transformer ces « restes ». Ce travail, en quelque sorte de « digestion » de l’ « effet déchetterie » de ces personnes, incombe à l’espace psychique de l’autre. Il lui revient donc de « faire site de transit » et de métaboliser ses fantasmes et ses éprouvés face aux sujets pour leur porter un regard renouvelé (décontaminé, recyclé).

Au niveau des sujets de mon étude, on peut penser que ce qui est clivé de leur subjectivité est servi à la société sous forme de déchets ? Le retour des traces clivées de l’expérience apparaît à distance de l’origine (famille, environnement) et souvent dans lesdispositifs de prise en charge et dans l’espace public. On retrouverai ainsi une très archaïque dimension (au sens de J. Bléger ) de ce qui ne peut pas être géré par la société.

Au niveau sociétale, on peut ainsi considérer ces personnes (ou ce phénomène), comme un retour du refoulé de ce que la société produit et ne peut pas inclure, des « restes » qui sont déniés, point aveugle au niveau de la société qui, comme dans le rêve, font retour par des voies détournées.

Cette étudene rassure pas quant à l’écart entre les deux mondes : celui de la « normalité » et celui de la précarité. Au contraire, le côtoiement entre « inclus » / « exclus » est souligné, ces derniers contraignant les autres à repousser leurs propres limites pour les admettre ou les inclure dans leur sphère psychique. Pourtant, ce qui le fait exister (dans lapsyché de l’autre) affole ce dernier et l’oblige à mettre des limites, fournissant ainsi au SEU des repères.

Comme synthèse des divers points soulevés je mettrai en avant plusieurs aspects de leur fonctionnement psychique qui méritent une attention particulière :

  • la prégnance de la dimension scopique pour trouver la visibilité ou des « restes » de la trace du lien.
  • l’importance pour eux d’être eux-mêmes visibles par un « effet déchetterie ».
  • leur difficulté à occuper une place (un espace, un lieu) réel et symbolique.
  • l’appui pris sur ce que l’autre leur renvoie pour trouver leurs repères et leurs limites.

Ces points nous orientent vers les questions suivantes :

  • Quelle prise en charge auprès de ces personnes serait le mieux adaptée afin de favoriser chez eux un vécu subjectif de continuité d’exister ?
  • Quel impact sur leur psychisme peut avoir le fait d’être perçus comme des « improductifs » ?
  • Quelle valeur, en effet, peuvent-ils représenter dans une société qui estime l’individu en terme de « production » ?

Le traitement des conséquences relatives à un tel vécu relèvent pleinement (mais non exclusivement) du domaine de la psychologie clinique.

Je formulerai donc quelques suggestions et pistes de travail en direction de :

  • l’idée de la prévention dans le champ de l’errance.
  • la formation à la relation d’aide des accueillants auprès de cette population.
  • la fonction d’accueil en s’inspirant de la méthodologie et des conclusions de recherches autour des axes dégagés par celles de Miller et Keys (2001) sur la validation ou l’invalidation de la dignité de ces personnes dont un des aspects souligne l’importance de donner de la valeur à ce qui est considéré comme « improductif ».
  • l’élaboration d’une position « méta » de la part du clinicien qui favorisera sa capacité à penser et à être présente selon ses possibilités.
  • un travail en réseau avec d’autres partenaires afin d’appréhender leur psychisme au travers de la manifestation même des besoins qu’ils mettent en avant.

Pour ces sujets, la profondeur est en surface. Ainsi pour les traiter psychiquementil convient de prendre en compte la dimension sociale, économique ainsi que leurs droits et leur place dans la cité.

Notes
53.

Je propose le terme de recyclerie en lien avec l’idée de « rêverie » bionienne et du « recyclage ».