Introduction générale

Les économistes sont unanimes pour constater que les crises, et plus particulièrement la crise de l’endettement que vivent les pays en développement à partir des années quatre vingt, trouvent leurs origines d’une part, dans l’échec des modèles de développement poursuivis par ces pays au lendemain de leur accession à l’indépendance politique, et d’autre part dans les retombées de facteurs externes comme l’instabilité économique internationale ainsi que les grands problèmes financiers survenus sur le marché mondial des capitaux.

Dans la réalité, il n’est pas aisé de tracer les contours de la frontière séparant les effets des politiques internes des effets externes à cause de leur grande interaction. On estime, toutefois, que ce sont ces derniers qui ont permis de lever le voile sur le dysfonctionnement des économies aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement.

S’agissant de ces derniers, les processus de développement engagés par ces pays durant les décennies soixante et soixante-dix, que ceux-ci soient d’inspiration libérale comme l’industrialisation par substitution d’importation (ISI) (cas des pays d’Afrique Sub-Saharienne, d’Amérique latine et d’Asie) ou d’inspiration néo-marxiste de type centralisé comme les industries industrialisantes (cas de l’Algérie), ont tous eu comme dénominateur commun l’intervention tentaculaire de l’Etat dans le fonctionnement de l’économie, l’affectation des ressources rares vers des investissements industriels très coûteux et inadaptés, le gaspillage de ces ressources et enfin un même constat d’échec. Et en fait d’autonomie et d’indépendance économique censée suivre l’indépendance politique, ces pays se sont retrouvés liés et dépendants vis-à-vis de l’extérieur par le mécanisme de l’endettement.

Ainsi, dans le but de financer leurs projets de développement durant les décennies soixante et soixante dix, les pays en voie de développement, en l’absence d’une épargne interne, n’avaient pas d’autre alternative que de recourir aux marchés financiers internationaux pour couvrir leurs besoins de financement. Cette situation devait leur permettre de dégager à terme une augmentation du taux d’épargne intérieur accompagnée d’une diminution des importations par la substitution de l’offre interne. Mais dans la réalité, cet objectif n’a pu être atteint et l’appel au financement extérieur devenait inéluctable, amplifié et stimulé par les conditions relativement avantageuses des prêts privés durant la décennie soixante dix.

En effet, durant les décennies cinquante et soixante, les flux vers les pays en développement provenaient, pour l’essentiel, des organismes officiels et représentaient plus de la moitié des prêts sollicités. En revanche, on enregistre durant la décennie soixante dix, une expansion de flux de financement émanant de banques commerciales privées, favorisée par le recyclage des pétrodollars.

Ce type de financement, dominé par les flux privés, assurément plus onéreux (taux indexés au LIBOR1  mais qui dans un contexte d’inflation mondiale élevée sont pratiquement inférieurs au taux d’intérêt réel) présente, toutefois, l’avantage de ne pas être lié à des projets spécifiques, donc moins complexe et nécessitant moins de temps pour l’obtenir que le financement officiel dont les conditions de remboursement sont en revanche beaucoup plus souples.

Les pays en développement et plus particulièrement ceux à revenus intermédiaires, soucieux alors de l’accélération du développement de leurs économies, n’ont pas tenu compte des conséquences à long terme de ce type d’endettement. Ce dernier s’accentua davantage après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, grâce aux pétrodollars venus renflouer les avoirs des banques commerciales, de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, qui orientèrent l’octroi de crédits principalement vers les pays en développement ayant un besoin accru de financement. Dans ce cadre, 7 milliards de DTS ont été empruntés entre 1974 et 1975 par le fond aux pays exportateurs de pétrole excédentaires et prêtés aux pays industrialisés et aux pays en développement ayant connu des déséquilibres. Parmices pays, figurent non seulement les pays importateurs de pétrole mais également les pays exportateurs de pétrole dont la balance extérieure étant déficitaire.

La situation que vit cette dernière catégorie de pays en particulier et tous les pays exportateurs de matières premières de manière générale face à l’endettement, est encore plus grave. Considérés généralement comme mono exportateurs, leurs recettes sont tirées essentiellement des exportations de matières premières dont les cours sont déterminés sur le marché mondial et donc soumis à des fluctuations faisant alterner boums et dépressions de façon imprévisible.

L’évolution toujours croissante des prix du pétrole durant les années soixante dix, a fait naître une tendance à l’exagération des dépenses souvent injustifiées et qui ne peuvent être maintenues en cas de dépression. Il en résulte donc des déséquilibres et des tensions qui trouvent généralement leur solution dans le recours à l’emprunt extérieur avec toutes les conséquences que cela peut induire sur la solvabilité externe.

Toutes ces conditions, imposées par l’environnement économique national et international, ont fait que, vers la fin de la décennie soixante-dix, la dette extérieure des pays en voie de développement a atteint des proportions alarmantes (650 milliards de dollars vers la fin des années soixante dix et 753 milliards en 1982 dont 333,5 milliards de dollars concernent particulièrement l’Amérique du Sud et les Caraïbes). Cependant, ni les pays industrialisés, ni les institutions financières internationales ne semblaient accorder de l’importance à ce phénomène.

Ce laxisme se justifiait, d’une part, par les taux de croissance prometteurs enregistrés par ces pays au courant de la décennie et d’autre part, par les indicateurs de solvabilité (rapport de la dette au PIB inférieur à 1,5 ou rapport du service de la dette sur les exportations de biens et services inférieur à 20%), dont les seuils n’étaient pas jugés très critiques. Selon M. Raffinot (1991), l’application du critère de Simonsen (taux d’intérêt inférieur au taux de croissance des exportations) aux pays en développement montrait que leur niveau d’endettement était supportable durant cette période.

Le début des années quatre-vingt fut pourtant brutal et la crise éclata sans grands signes annonciateurs. La privatisation de la dette extérieure avec tout son impact sur l’accumulation rapide et excessive de celle-ci, le déclin de la croissance économique dont les objectifs n’ont pas connu l’issue escomptée, l’environnement international défavorable à la fin des années soixante-dix (politique monétaire déflationniste menée par les Etats-Unis avec comme conséquence l’augmentation des taux d’intérêt, le second choc pétrolier…) sont autant de facteurs à l’origine de cette crise d’endettement des années quatre vingt. Concrètement, cela s’est traduit par la cessation de payement du service de la dette par de nombreux pays en développement. Le Mexique, pourtant solvable jusque là, fut le premier à annoncer qu’il ne pourrait continuer à honorer le paiement du service de sa dette extérieure.

La cessation de paiement de la dette par les pays en voie de développement les plus endettés a eu pour conséquence, non seulement le tarissement des flux financiers extérieurs, mais aussi le durcissement des conditions dans l’octroi des prêts par les bailleurs de fonds. Ces conditions sont à la base de l’élaboration des programmes de stabilisation et d’ajustement structurel des années quatre-vingt.

Notes
1.

LIBOR : London InterBank Offered Rate , taux d’intérêt publié par la BBA (British Bankers’ Association).