2.1 De l’autogestion à la révolution agraire

Après une très courte période (de l’indépendance à mars 1963) marquée par l’instauration de fait d’une gestion autonome par les travailleurs issus des fermes coloniales, l’Etat entreprend la généralisation et l’officialisation de cette « autogestion » en promulguant deux décrets en mars 1963.

Par le biais de ces décrets : celui du 18 mars 1963 portant création de l’Office National de la Réforme Agraire (ONRA) et celui du 22 mars 1963, portant organisation de l’autogestion, l’Etat inaugure ainsi le processus de « collectivisation » de l’agriculture. L’organisation des fermes autogérées repose d’abord sur la nationalisation d’une partie des terres laissées par les colons (récupération des biens vacants) et la constitution à partir de ces terres, de gigantesques fermes d’Etat (2200 fermes) ou domaines autogérés. Ces derniers sont gérés par des comités de gestion représentés par quelques travailleurs permanents « élus » et un directeur désigné par l’administration. Le pouvoir de décision se trouve ainsi transféré du collectif des travailleurs vers ces institutions marquant ainsi le début du contrôle de l’Etat sur le secteur autogéré, le secteur privé ne subissant aucun changement jusqu’ en 1971.

L’office de la réforme agraire représente un autre canal par lequel le pouvoir va exercer son contrôle sur les domaines autogérés soit en intervenant directement sur les approvisionnements, les prix des inputs et des produits et les salaires, soit indirectement à travers ses relations avec les autres organismes étatiques (les banques) pour le financement notamment.

Cette forme de gestion bureaucratique, conjuguée à la faible part des investissements alloués à ce secteur, est à l’origine des faibles valeurs ajoutées dégagées par ce secteur (sa part dans la PIB passe de 22% en 1963 à environ 15% en 1966).

Face à cette situation, l’Etat entreprend quelques réformes allant dans le sens d’une amélioration de la gestion par la décentralisation. La première réforme intervient avec la promulgation de l’ordonnance n°68-653 du 30 décembre 1968 portant réorganisation de l’autogestion, la deuxième intervient en 1969 avec la promulgation d’un ensemble de décrets portant organisation de la participation des travailleurs à la gestion.

Ces réformes visent essentiellement une plus grande autonomie de gestion pour le collectif des travailleurs des unités d’exploitation. Dans les faits, ce collectif continue de subir les injonctions émanant d’organismes externes tels que les offices : l’office pour la commercialisation des fruits et légumes (OFLA), l’office pour la commercialisation du vin (O.N.C.V) etc. (une vingtaine au total) créés en remplacement de l’office national de la révolution agraire dissout en 1968. Ces organes, chargés de la mission de décentralisation à des fins d’amélioration de la rentabilité des domaines autogérés, vont, au contraire, décourager la production par l’amplification du phénomène bureaucratique.

En matière d’investissement, ces offices vont bénéficier de crédits importants qui auraient trouvé à mieux s’investir dans les exploitations agricoles qui souffraient véritablement du manque de moyens matériels et de cadres. De plus, comme ils ont le monopole de la commercialisation, ils achètent les produits aux domaines autogérés à des prix dérisoires et peu rémunérateurs pour les revendre plus chers réalisant ainsi des bénéfices pour leur propre compte au détriment des producteurs.

Cette situation caractérisée par l’absence d’une véritable autogestion avec comme conséquences des déficits et un recours de plus en plus grand à l’endettement, va persister sinon s’aggraver jusqu’à l’avènement de la révolution agraire en 1971. Ainsi, l’autogestion agricole apparaît comme un prélude, une forme transitoire au passage à la gestion socialiste de ce secteur.