2.2 La révolution agraire.

Les principaux textes législatifs sous-tendant la révolution agraire sont la charte de la révolution agraire, l’ordonnance n° 71-73 du 8 novembre 1971 et la charte nationale de 1976. Les objectifs assignés par l’Etat à la nouvelle politique agricole sont clairement exprimés dans l’ordonnance : « la révolution agraire a pour but d’éliminer l’exploitation de l’homme par l’homme et d’organiser l’utilisation de la terre et des moyens de la travailler de façon à améliorer la production par l’application de techniques efficaces et à assurer une juste répartition du revenu dans l’agriculture ».

Dans la charte nationale de 1976, « la révolution agraire a pour but d’assurer une répartition juste et efficace des moyens de production agricole et d’abord du plus important d’entre eux la terre, pour que devienne possible, avec l’aide de l’Etat, la transformation radicale des conditions de vie et de travail des paysans » et plus loin « la révolution agraire constitue en outre, un stimulant pour l’industrie. La modernisation de l’agriculture et l’élévation du niveau de vie dans le monde rural élargiront le marché national et favoriseront la croissance de l’industrie. La création d’unités de production pratiquant des méthodes de cultures modernes accroîtra la demande vers les industries mécaniques et chimiques. »

Cette politique se veut donc une réorganisation du secteur agricole dans son ensemble en vue de son intégration  à la stratégie d’industrialisation déjà amorcée. En effet, le fonctionnement de ce secteur tel qu’il se présentait à la veille de la révolution agraire, ne permettait pas cette adaptation. Les moyens prévus pour atteindre cet objectif sont essentiellement le remembrement des terres et la modernisation du secteur considérée à la fois comme un moyen et un objectif à atteindre.

Pour le remembrement des terres, l’Etat a créé le Fonds National de la Révolution Agraire (FNRA) chargé de la collecte de toutes les terres récupérées ou nationalisées. Dans une première phase, les terres récupérées sont celles issues des collectivités publiques : communes, domaines, arch5 et houbous ainsi que toutes les terres abandonnées (qui ne présentent aucune difficulté quant à leur récupération).

La récupération des terres entrant dans le cadre de la limitation de la propriété foncière c’est à dire les terres privées, n’a pu avoir lieu que dans une deuxième phase (plus difficile à mettre en œuvre car mettant en jeu des intérêts divergents). Toutes les terres, palmeraies et moyens de production nationalisés ouvrent normalement droit à une indemnisation telle que prévue par la loi (articles 97 à 102 de la révolution agraire).

Les terres versées au fonds de la révolution agraire seront affectées en jouissance perpétuelle à des attributaires en vue de constituer des coopératives (leur chiffre avait atteint 2614 coopératives) regroupant des coopératives de production agricoles  (CAPRA), des coopératives agricoles d’exploitation en commun (CAEC), d’élevage (CEPRA), des groupements de mise en valeur (GMV) et enfin des groupements d’entraide paysanne (GEP).

Selon la charte, les attributaires peuvent opter librement pour le type de coopérative « la constitution des coopératives ne peut donc aboutir à des résultats concrets que sur la base d’une adhésion volontaire. Les propriétaires et exploitants agricoles adoptent librement la formule de leur choix et décideront eux même du rythme éventuel d’évolution de leur coopérative ».

Dans la réalité ce sont des organes relevant directement de l’Etat (commune, wilaya) qui ont le véritable pouvoir de décision. Comme on peut le lire dans la charte même « l’option en faveur d’une réalisation démocratique et décentralisée de la révolution agraire, fait de la commune et de la wilaya les deux cadres privilégiés de préparation, d’élaboration et de prise des décisions ».

Dans le chapelet des ambiguïtés, le second volet de la révolution agraire portant sur la restructuration de la commercialisation n’en contient pas moins. En effet, selon la nouvelle organisation, tout le commerce de gros est confié aux nouvelles institutions (coopératives), visant ainsi la suppression des mandataires et grossistes privés (B.Hamel, 1983). Cependant, selon ce même auteur les textes restent ambigus puisqu’ils laissent supposer que ces derniers peuvent continuer d’exister en se livrant uniquement à l’activité d’exportation.

Concernant les prix des produits agricoles, ceux-ci sont fixés par décret (au plus bas niveau) afin de soutenir les prix des produits de première nécessité, alors que les prix des biens d’équipement et des engrais (pour la plupart importé), stables jusqu’en 1974, connaissent une croissance continue. Cette politique des prix va bien sûr à l’encontre de l’objectif de rentabilité attendue de ces exploitations.

Cette faible rentabilité, elle-même due à la faiblesse des rendements dans le secteur a fait de ces « coopérateurs » qui perçoivent des revenus sans rapport avec la production, des salariés de fait. Cette transformation du paysan en simple salarié a fini par le détacher de la terre puisqu’il ne trouve aucune incitation à la travailler lorsqu’il ne la quitte pas simplement pour aller chercher du travail dans des secteurs plus rémunérateurs.

Ainsi, la révolution agraire conçue pour apporter un changement structurel dans le monde rural a, certes reconfiguré le paysage agricole, mais sans rien changer à la toile de fond. Nous rejoignons ainsi, A. Brahimi lorsqu’il écrit dans son ouvrage « l’économie algérienne », que ce qui caractérise un procès de transformation, une réforme ou une révolution, est autant sinon plus ce qu’elle crée que ce qu’elle détruit, sa fonction positive que sa fonction négative. Dans le cas de la révolution agraire, le déséquilibre est flagrant.

Notes
5.

3-Les terres arch sont des terres appartenant à la tribu alors que les terres Houbous appartiennent à des confréries religieuses.