3. Une stratégie de développement basée sur une industrialisation rapide avec priorité à l’industrie lourde.

Les textes officiels relatifs à la stratégie d’industrialisation ne font référence à aucun modèle théorique spécifique. Cependant, les recoupements faits à partir de l’utilisation de certains concepts propres à la théorie des industries industrialisantes de G.D.De Bernis dans les discours officiels, les travaux d’analyse portant sur le modèle de développement algérien , les interventions de l’auteur lui-même permettent d’en identifier la source principale.

Partant de la constatation que certaines industries sont à l’origine de la transformation du système productif et du développement économique dans les pays industrialisés et s’inspirant des travaux de F. Perroux et de Feld’man auxquels il fait référence, G. D de Debernis élabore un modèle de développement qu’il articule autour de deux axes principaux :

Mais toute construction d’industries ne signifie pas nécessairement industrialisation telle que définie par l’auteur lui-même comme «l’articulation de systèmes complexes et cohérents de machines, dans l’immense mouvement historique de création collective et de transformation de la nature par l’homme » (G.D Debernis, 1971, p. 547).

Ces industries devant avoir un « effet d’industrialisation» sont définies comme « celles dont la fonction économique fondamentale est d’entraîner dans leur environnement localisé et daté, un noircissement systématique de la matrice interindustrielle et des fonctions de production, grâce à la mise à la disposition de l’entière économie d’ensembles nouveaux de machines qui accroissent la productivité du travail et entraînent la restructuration économique et sociale de l’ensemble considéré en même temps qu’une transformation des fonctions de comportement au sein de cet ensemble. » (G.D de Debernis, 1971, p.547).

Il ressort de cette définition qu’il s’agit avant tout d’opérer une sélection des industries à créer et à promouvoir pour générer des effets d’entraînement en amont et en aval. Ces industries doivent être de grande dimension, hautement capitalistiques, susceptibles d’engendrer des économies d’échelle et de fortes valeurs ajoutées. Pour le concepteur du modèle algérien, les industries industrialisantes regroupent :

Le choix est donc porté sur des industries lourdes ayant un effet d’entraînement sur les industries de transformation en assurant leur approvisionnement en biens d’équipement et un effet de modernisation sur le secteur agricole.

Par ces aspects, ce modèle peut être comparé au modèle d’industrialisation soviétique initié par Staline qui donne la priorité au secteur de production des biens d’équipements. Ces liens de « parenté théorique » trouvent d’ailleurs leur confirmation dans les faits puisqu’une mission du GOSPLAN soviétique a séjourné en Algérie et a aidé en collaboration avec Bobrowsky6 à définir les grandes orientations en matière de planification.

Par ailleurs, les objectifs à caractère social, donc macroéconomiques (intégration, introversion, plein emploi…) assignés à la politique d’industrialisation, dépassent les simples capacités du secteur privé d’une part et ne répond pas à leur priorités (recherche de profits immédiats) d’autre part. La nécessité de recourir à une forte intervention de l’Etat s’est donc imposée, comme se sont également imposées de nouvelles formes d’organisation, de gestion et de régulation de l’économie.

Cette idée était largement partagée à cette époque par de nombreux pays du tiers monde : « En Irak et en Algérie depuis plusieurs années par exemple, en Angola et au Mozambique plus récemment, s’est développée l’idée selon laquelle la propriété privée généralisée des moyens de production ne permet pas d’opérer les transformations nécessaires pour éliminer progressivement les mécanismes de la dépendance et faire croître le degré d’autosuffisance. La recherche de la souveraineté économique, s’est trouvée dans ces cas, liée au développement d’un secteur public productif. ». (S.P Thierry, 1982, p. 16)

L’intervention de l’Etat est d’autant plus sollicitée dans le cas de l’Algérie que le financement des investissements énormes que requièrent ces industries ne peut se faire selon le concepteur du modèle des industries industrialisantes que par la rente minière que seul l’Etat pourrait canaliser et mettre effectivement à la disposition du projet d’industrialisation.

Notes
6.

- C. Bobrowsky (économiste polonais) a contribué à l’élaboration d’un document intitulé « perspectives de planification et stratégies de développement » DGPEE. Secrétariat d’Etat au Plan.