1. Une accumulation de capital de plus en plus polarisée.

C’est conformément à l’objectif prioritaire « d’industrialisation rapide » que les responsables politiques accorderont une priorité absolue à l’accumulation au détriment de la consommation des ménages comme on peut le constater à travers les données suivantes :

Tableau n°3 : Evolution de la part de la consommation finale et de l’accumulation (Unité : 109 DA et en % de la PIB - La PIB est égale au PIB auquel on retranche les valeurs ajoutées des services non productifs (VA des administrations publiques, des institutions financières et la VA des affaires immobilières. ).

Source : Marc Ecrement (1986, données prises du tableau page 54)

Ainsi, la part de la consommation finale des ménages rapportée à la PIB ne cesse de se contracter tout au long de la période couverte par les trois plans ainsi que les deux années hors plans (1978 et 1979), en passant de 72,9% pour la période 1963-66 à 52% en 1974-1977. Parallèlement, le taux d’investissement enregistre un grand saut au cours du plan triennal avec des taux de 29,5 % en 1967-1969 et de 56,6% en 1977, signant ainsi une rupture avec la période précédente caractérisée par des taux très faibles (22,2% en moyenne pour la période 1963-1966).

Pour la réalisation de ces investissements, une enveloppe globale de plus de 240 milliards de dinars été prévue pour la période 1967-1978. Leur répartition fait ressortir un maximum pour les secteurs dits productifs avec une concentration de l’effort d’investissement sur l’industrie et l’énergie conformément aux orientations de la stratégie de développement comme le confirme le tableau ci dessous :

Tableau n°4 : Répartition des investissements publics réalisés de1963 à 1977 (Unité : 109DA et en %)

Source : M. Ecrement. Op. Cit. p. 47

Au titre des trois plans, la consommation de crédits s’est élevée à 167 milliards de dinars soit 1,14 fois le montant prévu initialement, alors que le coût total réévalué des programmes, pour la même période, a atteint 402,5 milliards de dinars soit plus de deux fois et demie le montant prévu. Cette inflation des coûts a eu pour origine les réévaluations successives ainsi que la modification des programmes, induites certes par les variations des prix nationaux et étrangers mais également par une situation de contrainte financière lâche au sens de J Kornaï11.

Ces réévaluations sont à l’origine d’une première distorsion qui se manifeste au niveau des écarts entre prévisions et réalisations ou  restes à réaliser (RAR) qui deviennent de plus en plus importants au fur et à mesure de la mise en œuvre de la stratégie. Ces RAR, prouvent aussi le manque de rigueur dans le système de planification qui n’utilise pas des méthodes de contrôle à posteriori telle que l’établissement des balances matières à l’exemple de celles utilisées en URSS.

Une deuxième distorsion comme conséquence de la première apparaît au niveau de la structure des investissements comme le fait ressortir montre le tableau ci après :

Tableau n°5 : Structure des investissements prévus et réalisés en %.

Source : Données tirées de « la synthèse du bilan économique et social de la décennie 1967-1978 », MPAT, 1980

En effet, le modèle théorique accorde une priorité à l’industrie de manière générale et à l’industrie de base de manière particulière. Les données du tableau permettent de constater que seules les prévisions confirment leur adéquation au modèle, alors que les réalisations laissent apparaître une nette priorité accordée au secteur des hydrocarbures.

Cette allocation des ressources qui profite essentiellement à ce secteur, déforme ainsi, en intervertissantl’ordre des priorités accordées aux pôles de développement, la trajectoire de polarisation telle que tracée par G.D de Bernis. Ce constat peut être interprété comme un premier indice de manque de maîtrise de l’outil de planification et des conditions de sa mise en œuvre.

Les investissements liés aux activités d’exploration, de développement et de canalisation s’accaparent, à eux seuls, un peu plus de 60% du total des investissements réalisés dans ce secteur durant la période 1967-1969, tandis que les activités de production des engrais, de la pétrochimie et du plastique n’occupent qu’environ 10% de ce total.

S’il est vrai que la reproduction du système productif dans son ensemble est à ce point dépendante du secteur des hydrocarbures pour son financement, il n’est pas moins vrai que c’est également ce même secteur qui draine, pour sa propre reproduction, une bonne partie des recettes en devises12 engrangées grâce à la valorisation extérieure des hydrocarbures et aux emprunts levés sur le marché international des capitaux.

Cette situation est encore plus grave quand on sait qu’une ponction intensive sera opérée sur les réserves de cette ressource énergétique et plus particulièrement à partir de 1976 avec la mise en œuvre du plan VALHYD13 (plan de valorisation des hydrocarbures) initié par le ministre de l’énergie de l’époque.

Quand on sait la place réservée à l’industrie dans l’après pétrole, on est en droit de se poser la question de savoir s’il est possible d’atteindre ces objectifs que sont l’indépendance économique et le plein emploi.

Notes
10.

- La PIB est égale au PIB auquel on retranche les valeurs ajoutées des services non productifs (VA des administrations publiques, des institutions financières et la VA des affaires immobilières.

11.

- La contrainte financière lâche telle que définie par J. Kornaï est donnée à la section 1 chapitre III de notre travail.

12.

- Durant la période 1974-1978, les investissements ont été couverts pour 78 % par les crédits extérieurs, alors que le service de la dette a représenté 22% du montant de l’investissement réalisé. (M. Mekideche, 1983, P.144).

13.

- Plan VALHYD : plan de valorisation des hydrocarbures, s’appuyant sur l’intensification de l’exploitation des hydrocarbures visant la réalisation rapide de l’industrialisation.