4. L’intégration – introversion.

L’intégration constitue le deuxième impératif de la stratégie de développement. Il est appréhendé à travers le noircissement de la matrice interindustrielle c'est-à-dire une matrice « dont les différents secteurs sont interreliés entre eux par leurs inputs et leurs outputs »16(G. D. De Bernis, 1971, p.546).

Selon le schéma d’industrialisation tracé par G.D de Bernis pour l’économie algérienne, l’intégration de l’économie devait se réaliser à travers deux blocs principaux d’industries que sont la sidérurgie et les hydrocarbures. D’ailleurs, la position qu’ils occupent dans le classement fait sur la base des critères d’allocation des ressources, ne fait que confirmer ce rôle.

Ces industries, par les effets d’entraînement en amont et en aval qu’elles sont appelées à produire autour d’elles, vont participer à la création d’une structure industrielle large et dense à même d’accroître les possibilités de reproduction et de croissance autonome de l’économie algérienne. Le premier bloc d’industries qui apparaît comme pôle moteur est le secteur des hydrocarbures dont le rythme d’accroissement des investissements réalisées a été de 35% durant la période 1967-1978. La contribution de ce secteur à l’intégration est nettement perceptible au double niveau :

Ainsi, durant la période 1965-1977, la consommation d’énergie des ménages a été multipliée par quatre et celle de l’industrie par six (M. Mekideche, 1983, P. 328). La structure de la consommation d’énergie a également évolué puisque le gaz et le pétrole sont complètement substitués au charbon et au bois et ce bien avant la fin de la décennie.

La réalisation de ce programme a suscité le développement des branches en amont : prospection, production, canalisation et transports et en aval : raffinage, pétrochimie engrais (azoté et phosphaté), pétrochimie plastique et pétrochimie de base. En amont et à titre d’exemple, les réserves de gaz ont ainsi augmenté de 76% entre 1967 et 1979 et celles du condensat (extrait du gaz) de 57%. Pour le pétrole, les réserves prouvées et probables17 restantes récupérables passent de 506 à 1130 millions de tonnes.

L’appréciation de la contribution du secteur à l’intégration par ses effets en aval a montré que globalement celle ci n’a été que de 31% en moyenne. L’objectif étant de répondre aux besoins du secteur agricole en différents intrants (engrais, plastiques…), le taux de satisfaction de la demande en engrais a été de 58% durant la période, alors que pour les plastiques et les autres produits, le taux a été beaucoup moindre18. (M. Mekideche, 1983, P.337).

Il apparaît ainsi évident que les hydrocarbures ont eu des effets intégrants certains sur l’économie mais on bute sur un paradoxe qu’alimente le ballottement entre la fonction d’intégration et la fonction de promotion des exportations d’hydrocarbures; la seconde tendant à l’emporter chaque fois sur la première. Pour preuve, la part relative des exportations continue de représenter plus de 2/3 de la production totale durant toute la période ainsi que le confirme B. Hamel : « Son efficacité par rapport à la reproduction du système productif est non seulement indirecte (contribution au développement de laFBCF/B 19), mais elle tend à se réduire de manière significative comme l’illustre l’indicateur privilégié relatif à la part, de plus en plus grande, des ressources financières (obtenues par la valorisation des hydrocarbures) qu’elle draine pour sa propre reproduction » 20.

Le second bloc d’industries industrialisantes est constitué de la sidérurgie qui a engagé une masse d’investissements à forte teneur en capital. Les effets en amont attendus de ce secteur sont pour l’essentiel la valorisation des matières premières et le développement des infrastructures. En aval, il s’agit de favoriser le développement de l’agriculture et de certaines industries comme la mécanique ou le BTP, en répondant à leurs demandes respectives en biens sidérurgiques.

Durant la période 1967-1969, la sidérurgie a vu ses inputs, constitués essentiellement de minerais de fer, de charbon et de manganèse, évoluer rapidement allant jusqu’à la réduction des exportations et même de la production de fer (production pour laquelle elle avait un excèdent) et l’augmentation des importations du charbon de coke (produit pour lequel elle dépend entièrement de l’extérieur).

En aval, les niveaux de production d’acier restent en deçà des prévisions. Les taux de satisfaction de la demande passent de 20% en 1973 à 26% en 1977, le maximum a été atteint en 1974 avec un taux de 33%. Ainsi, la sidérurgie ne satisfait que le quart de la demande d’acier et même moins si on déduit les produits fabriqués à base de produits importés. De plus deux secteurs seulement se partagent la production de la sidérurgie : les hydrocarbures et le BTP avec 80% pour le premier secteur.

La faiblesse du niveau d’intégration de l’économie algérienne, est vérifiée par l’étude empirique menée par M.Andreff et A. Hayab21 recourant à l’analyse input- output. Les résultats de cette étude confirment le manque d’intégration et le caractère extraverti de l’économie algérienne. A travers cette étude les auteurs ont tenté de répondre à une double question à savoir :

Pour répondre à la première question, les auteurs ont utilisé la méthode de triangulation en retenant comme critère de classement, le critère de « meilleur client » tel que défini par H. Aujac22. Afin de repérer les branches prioritaires, la triangulation a porté sur le tableau d’échanges inter- industriels (TEI) algérien de 1973 à 31 branches. Les résultats obtenus mettent en évidence la hiérarchie suivante : les hydrocarbures occupent la première place, suivis de la sidérurgie puis des industries chimiques et mécaniques et enfin des branches matériaux de construction, verre et énergie électrique.

La confrontation de ces résultats au classement retenu par la planification algérienne permet de relever que cette dernière a retenu deux pôles d’industries : les hydrocarbures et la sidérurgie (la sidérurgie devant jouer le rôle d’industrie charnière), alors que la triangulation en propose un seul : la pétrochimie.

Dans le schéma de la planification, l’intégration de la sidérurgie à un secteur fortement dépendant de l’étranger en l’occurrence les hydrocarbures, en a fait une branche également dépendante. Alors qu’en retenant comme branches prioritaires les industries chimiques, celles-ci auraient certainement permis une meilleure valorisation des hydrocarbures et donc un plus grand effet d’entraînement sur les autres industries. En allant plus dans leur raisonnement les auteurs concluent leur première réponse en écrivant « cette branche devrait être, dans le cadre de l’économie algérienne, plus industrialisante que la sidérurgie »23.

La réponse à la deuxième question sera apportée en comparant la nature des industries à la base du développement industriel du XIXe siècle des pays capitalistes puis de l’URSS des années 20, avec celle des industries motrices des pays industrialisés des années 70. Les auteurs considèrent que la structure industrielle a connu une mutation en faveur des industries «légères »24 (l’automobile, la construction électrique et électronique, la chimie d’application, les industries du caoutchouc, des matières plastiques …), le rôle d’industries motrices ne revenant plus aux industries « lourdes ».

Comparant ce résultat  à ceux de la triangulation et de la planification en Algérie,W. Andreff et A Hayab ont conclu que le rôle « d’industrie motrice » revient au secteur des hydrocarbures mais réfutent, à contrario, la thèse qui place la sidérurgie comme second pôle industriel et sur laquelle repose le choix algérien. Leurs travaux ont débouché sur la conclusion suivante : le rôle d’industrie charnière devrait revenir à la chimie.

En synthétisant on peut dire que les industries censées constituer les locomotives du développement n’ont exercé que peu d’effets d’entraînement sur les autres branches dont la preuve manifeste en est l’approvisionnement sans cesse continu de l’économie nationale en inputs et en outputs étrangers.

Notes
16.

- Souligné dans le texte.

17.

-Les réserves prouvées : sont les réserves qui ont été prouvées a un haut degré de certitude par la réalisation deforages productifs ou d’essais probants ;

-Les réserves probables sont définies par des relevés de forage moins spécifiques que ceux définissant les réserves prouvées. Sont également comprises dans cette catégorie les réserves secondairement récupérables dans l’avenir (M. Mekideche, 1983 p. 265).

18.

- Concernant les difficultés à couvrir la demande de ces produits, ce n’est pas tant l’indisponibilité des produits qui pose problème mais les dysfonctionnements liés aux circuits de distribution. (M. Mekideche, 1983, P.337).

19.

- La FBCF/B est la Formation Brute de Capital Fixe du secteur de l’industrie en dehors des hydrocarbures.

20.

- B. Hamel : « Système productif algérien et indépendance nationale », tome I, P.309

21.

- Pour une analyse détaillée des résultats et de la méthode utilisée, le lecteur peut se référer à l’article de W. Andreff et A. Hayab : «les priorités industrielles de la planification algérienne sont elles vraiment « industrialisantes » ? », dans revue du Tiers Monde, 1978, PP. 867-887 

22.

- H. Aujac : « A propos des tableaux économiques », cité par W.Andreff et A. Hayab, p. 870.

23.

- W. Andreff et A Hayab. Op.Cit. P. 879.

24.

- Les industries « légères » sont définies par les auteurs comme celles où l’engagement en capital matériel et la valeur du capital par tête sont nettement moins importants que dans les anciennes industries industrialisantes du secteur B (la sidérurgie).