D’emblée, J.Kornaï inscrit son analyse dans la théorie du déséquilibre. En s’inspirant de cette théorie J.Kornaï construit un modèle d’ajustement par les quantités qui prend mieux en considération les spécificités des économies planifiées du centre.
La démarche méthodologique retenue par J.Kornaï s’appuie sur un niveau de désagrégation très élevé. L’unité utilisée n’est pas l’agent économique mais chacune des décisions prises et chacun des ajustements effectués à un instant donné. Par ailleurs, bien qu’il réserve à chacun des agents économiques (ménages, Etat, entreprise) une place importante dans son approche de l’économie de pénurie, c’est à l’entreprise qu’il consacre la plus grande partie de l’ouvrage car selon lui le problème se trouve dans la sphère de production.
L’hypothèse sous jacente à l’analyse apportée par J.Kornaï porte sur le type de contraintes aux quelles est soumise l’entreprise socialiste. Ainsi, cette dernière est soumise à des contraintes de ressources dures mais au plan budgétaire ses contraintes sont considérées comme lâches. En effet, dans ces économies l’Etat entretient des relations paternalistes avec les entreprises ce qui rend leur contrainte budgétaire souple en comparaison avec les entreprises capitalistes qui elles, connaissent la situation inverse : une contrainte en ressource lâche et une contrainte budgétaire serrée. Une contrainte budgétaire lâche laisse supposer que :
Les conséquences de ces contraintes lâches sont :
En raisonnant à très court terme (un instant donné) et séparant théoriquement les fonctions de l’entreprise : en tant qu’acheteur, vendeur et producteur (nous ne retiendrons que la troisième fonction en généralisant l’analyse aux autres fonctions), les contraintes en ressources rencontrées sont :
∑aij.xj (t) ≤ ri (t)i=1,….k
Où xj(t)est la production fabriquée par l’entreprise avec la jième technologie le tième jour, k représente le nombre de ressources utilisées. Les aij sont les coefficients techniques fixes associés aux différentes technologies employées et planifiées. Les ri(t)présentent les ièmes quantités en ressource disponible au tième jour.
La pénurie notée ziplan (t)de la ième ressource, sous l’hypothèse de la technologie 1, s’écrit de la manière suivante :
Face à une situation de pénurie46, plusieurs ajustements peuvent être envisagés :
Schématiquement le processus peut être synthétisé de la manière suivante :
Ces trois cas constituent les différents ajustements instantanés à la pénurie. Dans chaque cas la pénurie entretient la pénurie. Elle devient un état normal.
En cas de répétition du goulot d’étranglement sur la ressource 1 l’entreprise en tant que producteur peut réaliser des ajustements par les quantités qui prennent du temps mais qui se situent dans le court terme:
Les ajustements précédents auxquels procède l’entreprise peuvent s’allonger sur le moyen et le long terme et entretenir ainsi les pénuries à moyen et long terme.
L’entreprise, en tant qu’acheteur a également une contrainte budgétaire lâche. Elle a une demande quasi infinie d’intrants et participe à la file d’attente pour les obtenir. Elle peut procéder comme suit :
Comme dans la théorie du déséquilibre, la demande est sans cesse révisée. Ces révisions se font toujours en réaction aux quantités et non aux prix.
En tant que vendeur, l’entreprise fait face à une file d’attente de clients planifiés ou non planifiés, plus ou moins insatisfaits. Elle produit autant qu’elle peut pour résorber la file d’attente. En procédant de la sorte elle fait face à une contrainte de ressources de plus en plus serrée, rencontre un goulot d’étranglement et doit procéder aux ajustements précédents en tant que producteur et acheteur.
La file d’attente s’allonge de plus en plus mais le producteur ne réagit que lorsque la file devient anormalement longue. Il existe ainsi une norme vers laquelle tend la file d’attente. La pénurie est donc un phénomène normal en économie planifiée, et non un indice de crise.
L’analyse de J.Kornaï s’étend aux autres agents économiques et aux phénomènes tels que les prix, la monnaie, l’investissement, l’emploi. La limite avancée par W.Andreff à la théorie de J.Kornaï est que celle-ci n’indique pas comment une économie de pénurie entre en crise ou comment des états normaux non walrassiens cessent d’être normaux.
Afin de dépasser cette limite, W.Andreff en s’inspirant d’autres travaux affirme que la pénurie est antérieure aux ajustements de l’entreprise d’une part et que l’accent doit être mis sur les problèmes de l’offre d’autre part. En effet, c’est la rigidité de l’offre, elle-même découlant des « valeurs indices » retenues par le plan, qui se trouve à l’origine de la pénurie et non la demande effective comme le soutient J. Kornaï.
Ainsi la réalisation de ces valeurs indices par l’entreprise garantit à celle-ci l’écoulement des produits dans le cadre du plan et lui assure ses recettes. Mais ceci ne signifie nullement que ces valeurs indices correspondent aux valeurs d’usage demandées par les agents économiques. Il s’ensuit une incohérence entre les objectifs du plan et les besoins réels des ménages et des entreprises, avec comme conséquence la pénurie et les différents ajustements qui s’ensuivent. Et plus celle-ci se généralise et s’approfondit et plus le pouvoir de répartition se concentre au sommet du système économique et dans les ministères sectoriels, ce qui les met en position de monopole de fait.
Cette situation stimule l’apparition et le développement de marchés parallèles qui entretiennent la pénurie et sont vecteurs d’inflation. Pour W. Andreff, cela suffit pour supposer que les dysfonctionnements normaux de l’économie planifiée du centre conduisent inéluctablement un tel système à une situation de crise économique.
Le modèle de Koranï s’applique au cas de l’économie algérienne dans la mesure où on a constaté durant les années soixante dix et quatre vingt que l’appareil productif, représenté essentiellement par les entreprises publiques, a subi les contraintes telles que définies par Kornaï à savoir les contraintes d’ordre technologique, d’approvisionnement et de commercialité. Malgré leur situation difficile, l’Etat continue à les financer avec un hypothétique espoir de redressement. Cependant, avec la chute des prix des hydrocarbures en 1986, l’Etat lui même confronté à des difficultés financières, le financement de ces entreprises a lui-même été compromis.
2 - Une situation d’excédent peut également apparaître. Elle se traduit par l’apparition d’un surplus en ressource non nécessaire