Section 2 : les signes manifestes de la crise.

En 1986, les effets conjugués de la chute brutale des prix des hydrocarbures (les cours du brut passent de 30 $ en moyenne en 1985 à moins de 15$ en 1986 soit une baisse de plus de 50%) et de la dépréciation du dollar sur l’économie algérienne ont été tels que cette dernière en porte encore les stigmates. Intervenant dans un contexte interne déjà très contraignant comme nous l’avons souligné auparavant, la crise pétrolière a été autant un révélateur qu’une cause d’aggravation de cette situation.

L’impact direct est nettement perceptible au niveau des recettes d’exportation qui ont connu une baisse sensible et continue passant de 13 milliards de $ en 1985 à 7,9 milliards de $ en 1986 et de la fiscalité pétrolière qui voit sa part dans les recettes totales passer de 46% à 32% pour la même période. Cette tendance au tarissement des ressources financières va avoir des répercutions très lourdes sur le reste de l’économie et particulièrement sur l’appareil de production.

Comme nous l’avons montré plus haut, les entreprises socialistes ne connaissent pas de contrainte financière dure mais sont continuellement confrontées à la pénurie. Les restrictions imposées aux importations ont ainsi paralysé les entreprises nationales qui n’arrivaient plus à s’approvisionner en intrants et pièces de rechange.

Tableau n°28 : Recettes extérieures et importations (1985-1987). (Unité : millions de dinars)

Source : cahiers du CREAD n° 30. 1992.

Ainsi, la production, tous secteurs confondus, a accusé une baisse de 1,2% en moyenne annuelle entre 1985 et 1988. Le déficit financier des entreprises publiques s’est fortement creusé et leurs découverts bancaires sont évalués à prés de 42 milliards de dinars en 1988, alors que certaines entreprises privées ont simplement cessé leur activité faute d’approvisionnement.

Selon le rapport du CNES (Conseil National Economique et Social) la chute des recettes du trésor a entraîné une réduction des dépenses publiques mais dans une proportion moindre (7 points pour la première et seulement 4 points pour la seconde). De plus la baisse des recettes s’est diversement répercutée sur les différents postes. Ainsi, tandis que les dépenses du trésor par rapport au PIB ont diminué de 4 points entre 1985 et 1986 les dépenses courantes ont, paradoxalement, augmenté de 3 points. L’austérité semble ainsi toucher d’abord les investissements publics dont la part s’est réduite de 2,5 points et les prêts aux entreprises publiques.

D’après le même rapport, le taux de liquidité de l’économie (mesuré par le rapport M2 / PIB) accuse une tendance à la hausse en passant de 77% en 1985 à 82% en 1986 sous l’effet de la monétisation du déficit public, ce qui ne manque pas de provoquer, la pénurie aidant, une pression inflationniste (taux moyen de 10% entre 1985 et 1987) malgré le système des prix administrés alors en vigueur.

La réduction des investissements n’a été sans toucher à la création d’emplois qui voit le nombre des nouveaux emplois crées passent de 130 000 en 1980-1984 à 75 000 emplois en 1986, pour se situer à 64 500 en 1987. Officiellement le taux de chômage qui était de 21% affectait particulièrement la population jeune dont l’âge ne dépassait pas les vingt cinq ans.

La récession a par ailleurs induit un alourdissement du poids de la dette extérieure dont le stocks passe de 18 400 millions de dollars US en 1985 à prés de 23 000 millions de dollars en 1986 pour atteindre 26 775 millions de dollars en 1988. Le ratio encours de la dette/ exportations passe de 130,7 en 1985 à 248,1 en 1986. La première cause de cet alourdissement du stock de la dette a été l’accès de plus en plus difficile au marché financier se traduisant par de nouvelles conditions de prêts très contraignantes. Ainsi prés de 42% du total en 1986, la part des crédits financiers passe à 13,19% seulement en 1987 pour devenir négligeable à la fin de la décennie.

Il ne fait aucun doute que les milieux financiers sont devenus de plus en plus méfiants à l’égard de l’Algérie dont l’appréciation du risque est intimement liée aux recettes d’exportation. Devant cette réticence des bailleurs de fonds, l’Algérie opta pour des empreints à court terme (dont le remboursement est dû à moins d’un an) pour les besoins d’importation tout en continuant d’honorer le service de sa dette extérieure. La mobilisation de plus en plus importante de crédits à court terme a eu un impact sur la structure et les conditions de remboursement de la dette :

Tableau n°29 : Structure de la dette extérieure algérienne

Source : A Belhimmer : « La dette extérieure de l’Algérie », P 70

Plusieurs facteurs concourent à rendre ces remboursements très contraignants. La première raison tient au fait que ces crédits sont libellés dans différentes devises. Selon R Abdoun (1993) le poids du dollar américain représente en 1989 prés de 43% de la dette, le mark allemand 10%, le franc français 14,6 % et le yen japonais 16,2 %. Ainsi, ces trois monnaies réunies représentent une proportion comparable à celle de la devise américaine. Or, les exportations sont entièrement libellées en dollar américain. Dés lors toute dépréciation de cette monnaie provoque un renchérissement du montant du service de la dette libellée dans les monnaies autres que le dollar américain. C’est ce qui explique, d’après A.Benbitour (1998) l’augmentation de prés de 80 % du stock de la dette extérieure enregistrée entre 1986 et 1990.

L’autre raison est liée à la volatilité des taux d’intérêt mondiaux comme nous l’avons explicité auparavant. Comme le fait constater A. Belhimmer (1998, P.60) « les taux d’intérêt variables semblent être une innovation bien adaptée au tiers monde. Les euro crédits à moyen terme constituent un compromis satisfaisant entre son besoin de financement et la méfiance des prêteurs qui les incite à des prêts courts. Le point essentiel dans cette innovation réside dans le transfert du prêteur à l’emprunteur du risque lié à l’instabilité des taux ». Le LIBOR est passé durant cette période d’une moyenne de 6,5 % en 1977 à une moyenne de 14,3 % en 1988.

L’amplification du rythme d’expansion de la dette a eu pour conséquence l’apparition d’un triple déficit : déficit offre globale – demande globale, déficit de la balance des paiements et déficit budgétaire, qu’on peut appréhender à travers les indicateurs suivants :

Tableau n°30 : Evolution des indicateurs du triple déficit

Source : calculés à partir des données de l’ONS

Face à cette situation, les pouvoirs publics tentent de remédier en adoptant un programme d’autoajustement axé dans une première étape essentiellement sur le désengagement de l’Etat de la sphère réelle et monétaire.