Chapitre 3 L’élément chimique

‘« Ce que j'entends, je l'oublie ; ce que je vois, je le retiens ; ce que je fais, je le comprends mieux »
(Proverbe Chinois)’

Introduction

La transformation chimique a donné lieu à d’innombrables recherches didactiques au cours desquelles plusieurs aspects ont été abordés. Celui de la conservation et de la non-conservation est essentiel et a fait l’objet de quelques travaux (Solomonidou & Stavridou, 2000) car ces deux aspects sont simultanément présents et difficiles à intégrer lors de l’apprentissage. En effet, au cours d’une telle transformation, les espèces chimiques ne se conservent pas, alors que les éléments chimiques, dont elles sont constituées, eux, se conservent. L’enseignement doit ainsi s’efforcer de faire émerger, à peu près en même temps, les délicates notions de transformation chimique, d’espèce chimique et d’élément chimique. Dans leur étude sur la construction de la notion d’espèce chimique, Solomonidou et Stavridou (2000) ont constaté que des lycéens avaient le plus grand mal à comprendre que, lors d’une transformation chimique, les changements observés correspondent à des changements d’espèces chimiques. Ces auteurs rapportent des phrases fréquemment entendues, telles que « l’espèce chimique blanche a changé de couleur », avec l’idée qu’il s’agit toujours de la même espèce chimique. D’autres travaux indiquent que des élèves peuvent dire : « lors du chauffage [à l’air], le cuivre devient noir 1 » (Hesse et Anderson 1992). Ainsi, une des conclusions de l’article de Solomonidou et Stavridou traduit que : « l’enseignement de la chimie doit permettre de répondre aux deux questions : (1) Qu’est ce qui change (en relation avec de nouvelles espèces chimiques) et (2) qu’est ce qui se conserve (masse, éléments chimique, atomes2) lors d’une transformation chimique. »

La notion d’invariant est essentielle en science parce que les grandeurs qui se conservent, comme l’énergie, la masse ou la charge permettent d’étudier de nombreuses situations. La notion d’élément chimique est également un invariant, mais à la différence de ceux qui viennent d’être cités, il ne s’agit pas d’une grandeur, et à ce titre n’est donc ni mesurable ni calculable. La chimie a émergé alors que Lavoisier réfléchissait à cette notion qui n’a cessé de se préciser au cours du XIXe siècle. Cependant, à la différence des savants qui ont compris cette notion en utilisant un grand nombre de faits expérimentaux, les élèves en disposent de très peu, et pour cette raison nous avons basé notre recherche sur des bases didactiques et psychologiques plus que sur des considérations historiques, comme l’on fait Laugier et Dumon (2000 ; 2003) pour comprendre comment les élèves peuvent la construire.

Pour enseigner la notion d’élément chimique, définie précisément ci-dessous, deux possibilités peuvent être envisagées : soit de partir de la structure de l’atome et, moyennant l’hypothèse que son noyau est préservé lors des transformations chimiques, en déduire la propriété de conservation qui caractérise cette notion ; soit encore mettre en évidence la conservation de « quelque chose » qui permet de faire émerger ensuite la notion. Dans tous les cas, il est prévu que l’élève construise la notion d’élément chimique avec peu de connaissances de chimie. On est ainsi ramené à l’enseignement d’une notion fondatrice de la connaissance de l’élève, c’est-à-dire d’une notion qui ne peut s’appuyer sur d’autres connaissances du même champ disciplinaire et avec laquelle celui-ci va se construire. Ce n’est jamais simple (CNCRE, 1998). Dans de tels cas, le recours à l’analogie est souvent proposé, en ce qu’elle favorise la création d’un modèle mental permettant à l’élève de se faire une idée de la notion à apprendre grâce à une autre qui lui est plus familière (Gilbert 1989). La relation entre l’analogie et le modèle scientifique a été remarquée en didactique de la physique : « it is the analogy relation that makes a model a model » (Duit, 1991, p.165) et, en chimie : « the roles of modelling in chemistry and of analogies in modelling suggest a distinctive place for analogies in chemistry teaching and learning » (Justi et Gilbert, 2006, p.126). Pour autant, l’analogie, quand elle est utilisée dans l’enseignement, doit l’être avec certaines précautions. Ainsi, une analogie apprise par cœur, sans que du sens lui soit donnée, peut être néfaste pour l’apprentissage. Taber (2003) précise qu’il ne sert à rien qu’un élève puisse répéter qu’une structure métallique est comme des cations métalliques baignant dans une mer d’électrons, surtout s’il imagine, au premier degré, que les structures métalliques contiennent de l’eau par exemple.

L’apprentissage de la notion de conservation a été largement étudié par les psychologues, Piaget en tête et, chez l’enfant, cette notion se ramène aux conservations physiques (substance, poids et volume de matière), spatiales (longueur, aire et volume spatial) et numériques (Dolle, 1991, pp. 136-148 ; Speece et al., 1986). Il en ressort que l’enfant acquière progressivement les différentes notions de conservation : celle de la longueur vers 7 ans, celle de la substance vers 8 ans, …, celle du volume de matière et du volume spatial n’arrivant que vers 12 ans. Dans le cas de la transformation chimique, le problème est d’abord de remettre en cause la conservation de la substance puisque, par exemple le cuivre métallique disparaît quand il est immergé dans l’acide nitrique, cela se voit. Le problème est ensuite de faire émerger un nouveau type de conservation, celui d’élément chimique, qui lui ne se voit pas. Ce type de conservation se distingue encore par le fait qu’il n’appartient de près ou de loin à aucune des catégories de Piaget. La conservation d’un élément chimique met donc en jeu des schémas plus complexes que nous allons explorer.

Dans ce chapitre, nous nous proposons d’étudier une séquence d’enseignement introductive de la notion d’élément chimique au travers de sa propriété de conservation. Nous allons préciser cette notion et voir ce que les différentes recherches ont proposé. L’objet de notre étude sera à la fois de présenter la séquence d’enseignement, d’étudier un usage peu usuel d’analogie, de donner un nouveau regard à l’enseignement de la notion d’élément chimique en contribuant aux questions de conservation et non-conservation précédemment évoquées.

Notes
1.

C’est l’oxyde de cuivre ainsi formé qui est noir, et non le cuivre qui devient noir !

2.

Les atomes ne se conservent pas forcément, par exemple, lors que le fer rouille, les atomes de fer disparaissent, et font place à des ions.