Définitions de l’élément chimique

La découverte de la notion d’élément chimique est attribuée à Lavoisieret, bien que sa contribution au développement de la chimie soit immense, la définition qu’il donne de l’élément chimique est purement expérimentale. Il faut prendre conscience que ce que Lavoisierappelle « élément chimique » est, dans notre enseignement, proche d’« espèce chimique » ou de « corps simple ». Dans sa définition, l’élément chimique constitue « le dernier terme auquel parvient l’analyse », c’est-à-dire l’échantillon obtenu par décomposition d’un composé chimique, à savoir ce qui correspond à un corps simple. Les lois qu’il énonce au sujet de ce concept sont des lois de conservation (i) qualitative (s’il y a du cuivre à la fin, il y en a au début), et (ii) quantitative (il y a autant d’élément cuivre au début qu’à la fin). Ces lois ont ouvert un immense champ de recherche qui a permis de doubler le nombre d’éléments chimiques connus : trente-trois à la fin du XVIIIesiècle quand Lavoisier écrit son traité de chimie, soixante-six quand Mendeleïevles classe en 1869. La notion moderne d’élément chimique n’arrive que postérieurement à la découverte par Moseley, au début du XXe siècle, du numéro atomique, et la seule preuve de la découverte d’un élément chimique, en tout cas au XIXesiècle, a toujours été l’obtention du corps simple correspondant. Mendeleïeva classifié ce que l’on appelle aujourd’hui des corps simples, et non des éléments chimiques.

La notion d’élément chimique a donc une longue histoire (Martinand, 1986) qui a pris une importance essentielle au XIXème siècle. Le concept a évolué et sa définition est désormais gérée par l’IUPAC. Aujourd’hui, le Compendium (IUPAC, 1998) (International union of pure and applied chemistry) connu sous le nom de gold book fournit deux définitions du terme élément chimique :

  1. A species of atoms; all atoms with the same number of protons in the atomic nucleus.
  2. A pure chemical substance composed of atoms with the same number of protons in the atomic nucleus. Sometimes this concept is called the elementary substance as distinct from the chemical element as defined under 1, but mostly the term chemical element is used for both concepts.

La première définition est retenue par les programmes scolaires français, elle se traduit par : « Catégorie d’atomes : tous les atomes dont le noyau possède le même nombre de protons ». Par atome, il faut inclure atome libre, et au sein des molécules et des ions. Cela signifie que l’atome ou l’ion hydrogène, ses isotopes (H, D ou T) quelqu’en soient les combinaisons chimiques, D2O, CH3T, etc. appartiennent tous à une catégorie appelée élément chimique hydrogène. Il y a donc une relation d’inclusion entre la catégorie « Elément chimique hydrogène » et l’atome H dans le méthane par exemple. A ce titre, entre l’élément chimique et l’atome, il y a donc une relation d’hyperonymie3 comme fruit et pomme, ou siège et chaise. En accord avec cette relation, Viovy (1984) formule la définition de la façon suivante : l’élément est ce qui est en commun au corps simple et à tous les corps composés qu’il peut former (ex. : l’élément oxygène est commun au dioxygène (gaz oxygène), à l’ozone et à tous les composés oxygénés).

La seconde définition de l’IUPAC considère que l’élément chimique est un corps simple dans ses différentes variétés allotropiques et isotopiques, par exemple le dioxygène O2 ou l’ozone O3, que ces molécules soient constituées de 16O, 17O ou 18O. Elle précise que les deux définitions se rapportent à des concepts distincts mais que, dans la plupart des cas, le terme élément chimique est utilisé pour les deux.

Un lycéen canadien apprend que Cl2 est l’élément chlore ([5], p. 2), Et page 6 de cet ouvrage récent, on peut lire des définitions conformes à la seconde définition de l’IUPAC : « On appelle substance tout type de matière qui a une composition finie […] Toutes les substances sont soit des éléments soit des composés. Un élément est une substance que l’on ne peutséparer en des substances plus simples au moyen de réactions chimiques ». Si l’on s’en tient aux recommandations officielles françaises, on se doit de distinguer l’élément chimique chlore Cl et le corps simple dichlore Cl2. Cela n’est pas sans conséquence sur ce qui peut être dit aux élèves dans l’un et l’autre des pays.

Pour Martinand (1986), distinguer les deux définitions de ce concept est un progrès important pour sa compréhension. Toute analyse d’une publication pédagogique ou de recherche relative à l’élément chimique devrait donc être entreprise en détectant, parfois entre les lignes, si l’auteur utilise la notion d’élément chimique au sens large (ensemble des deux définitions) ou s’il se restreint strictement à la première. Par exemple, une part significative de la littérature anglo-saxonne utilise la notion d’élément chimique au sens large (Schwob & Blondel, 1996 citant Hatab). On trouve ainsi « if we again consider elements as substances […] » (Schmidt et al. 2003, p.259).

D’autres livres par exemple dans History of the Origin of the Chemical Elements and Their Discoverers (2001) mélange ce qui est perceptible (matter) et ce qui est non perceptible (the same positive charge)

‘« What do we mean by a chemical element? A chemical element is matter, all of whose atoms are alike in having the same positive charge on the nucleus and the same number of extra-nuclear electrons. As we shall see in the following elemental review, the origin of the chemical elements show a wide diversity with some of these elements having an origin in antiquity, other elements having been discovered within the past few hundred years and still others have been synthesized within the past fifty years via nuclear reactions on heavy elements since these other elements are unstable and radioactive and do not exist in nature.”’

Il se trouve fréquemment un cas hybride, qui se réclame de la définition stricte de l’élément chimique et qui, dans les faits, utilise de temps en temps la définition large. Cela transparaît dans des phrases telles que

‘« L’élément chimique sodium, appartenant à la première colonne de la classification périodique, aura les propriétés chimiques analogues à celle des autres éléments de cette colonne » (Sallaberry, 2000, p.116)’

ou :

‘« Les éléments chimiques d’une même colonne ont des propriétés chimiques similaires […] » (Coup, 2004, p.95). ’

Ce type de phrases pose problème car un élément chimique est défini par un nombre de protons alors que les propriétés chimiques dépendent du cortège électronique. Dire que le corps simple Na possède des propriétés chimiques similaires à celle du corps simple K est parfaitement correct, en revanche, comparer les propriétés des éléments chimiques d’une même colonne est un raccourci discutable. Un élément chimique est une catégorie, une classe, une case de la classification périodique. Il ne peut donc avoir de propriété chimique. Par exemple, l’élément chimique hydrogène H est-il oxydant comme H+ ou réducteur comme H2 ou H– ? Ainsi, les attributs de l’élément chimique, définis au sens strict, sont limités au symbole, au nom, au numéro atomique et, conventionnement, à la masse définie comme la moyenne (avec une précision arrêtée par l’IUPAC) de la répartition isotopique naturelle dans la croûte terrestre (Mnaught & Wilkinson, 1998), mais en aucun cas des propriétés chimiques.

Notes
3.

Hyperonymie, subst. fém. Relation d'inclusion établie entre un terme général et un ou plusieurs termes spécifiques. D’après le dictionnaire Trésor de la langue française.