Systèmes sémiotiques et représentations moléculaires

Considérons trois types de représentations utilisées dans la séance de ML (gardons nous pour l’instant de les qualifier de systèmes sémiotiques) : (1) les formules brutes, (2) les formules développées et leurs variantes (formule semi-développée ou schéma de Lewis) et (3) la représentation de Cram. Chacun de ces types est géré par des règles. Or, à l’instar des poupées russes emboitées, toutes les règles utilisées pour produire des formules brutes (niveau « central » de l’emboitement figure 8) sont utiles pour les autres types de représentations, et toutes les règles des formules développées (niveau 2 de l’emboitement) sont aussi utiles pour les représentations de Cram (niveau 3 de l’emboitement figure 8). Au regard du chimiste, un tel emboitement pourrait apparaître comme un unique système sémiotique tant ces différentes représentations sont devenues un unique langage familier. Cependant, ces différents types de représentations agissent comme des degrés de liberté laissés à son mode d’expression. Il s’agit effectivement de trois systèmes sémiotiques, un peu particulier puisque emboîtés. De fait, pour l’enseignement, il s’agit de trois domaines distincts qui ont, à notre connaissance, toujours été enseignés à partir du niveau central. Le passage d’un système au système du niveau supérieur fait l’objet d’un apprentissage à la fois des règles propres à chaque système et de la conversion d’un système à l’autre. Nous découvrons ainsi une structure de systèmes sémiotiques propre aux représentations moléculaires qui semble ne pas avoir été décrite pour d’autres domaines. Dans leurs travaux Khanfour-Armalé et Le Maréchal (soumis) ont montré que les changements de systèmes sémiotiques permettent de montrer un nouvel aspect du représenté.

Figure 8 : Représentation de certains emboitements des représentations moléculaires
Figure 8 : Représentation de certains emboitements des représentations moléculaires

Grâce aux règles de la chimie, les informations géométriques contenues dans une représentation permettent d’en déduire tout ou partie des informations nécessaires à la représentation du même représenté dans un autre système sémiotique (représentation en ruban). Ce n’est pas le cas entre le mot pipe et le dessin d’une pipe. Apprendre à passer d’une représentation à l’autre est donc un moyen de faire fonctionner les règles de la chimie, ce qui est un point important pour l’apprentissage.

Pendant le débriefing, l’enseignant a passé tout son temps à débattre des structures électroniques, laissant les élèves gérer les systèmes sémiotiques des molécules avec la seule fiche de synthèse. Il est possible que pour l’enseignant, la relation de ressemblance soit suffisante pour ne pas passer de temps, en renvoyant les élèves au document écrit distribué.

Faire confiance à la relation de ressemblance dans l’enseignement de représentations est regrettable puisque, par nature, les systèmes sémiotiques permettent avantageusement de traiter l’information et de la convertir. Il se trouve qu’en mathématique, les opérations de traitement sont fréquentes alors que celles de conversion sont rarement prises en charge par l’enseignement. C’est le contraire pour ce qui concerne la chimie au lycée, l’activité de conversion est fréquente alors que le traitement est rare (Khanfour-Armalé et Le Maréchal, soumis). La conversion n’a pas été pris en charge par le débriefing, mais nous en avons trouvé dans une des 8 fiches de synthèse récupérées. L’enseignant y décrit un algorithme pour passer de la formule brute au schéma de Lewis.

Représentations moléculaires en enseignement

Les modèles moléculaires (figure 12) sont des objets largement utilisés dans l’enseignement. Ils ont été impliqués dans de nombreuses recherches en didactique de la chimie (Ealy, 2004, et références incluses). Par exemple, Harrison et Treagust (2000) se sont interrogés sur la façon dont les élèves articulent les différents modèles qui leur sont présentés dans l’enseignement pour améliorer leur compréhension conceptuelle de la chimie. Les modèles moléculaires, classés par ces auteurs dans les modèles analogiques, peuvent être constitués, suivant les cas, de boules et/ou de tiges qui les relient pour reproduire la forme des molécules. Ces objets matériels ne sont pas des représentations au sens sémiotique du terme, car ils ne sont pas en deux dimensions. Pourtant, ils en ont toutes les caractéristiques du point de vue du cadre théorique développé ici : relations entre ces objets et ce qu’ils représentent ; activités cognitives qu’ils permettent. En effet, la relation de ressemblance avec les caractéristiques géométriques des molécules est évidente. C’est même la raison d’être première de ces modèles dans l’enseignement et la « force » de cette ressemblance va jusqu’à induire des difficultés chez les élèves qui, par exemple, comprennent la notion de liaison chimique comme un lien et non comme une interaction (Harrison et Treagust, 2000). Les autres relations représentation-représenté sont également utilisables. Plus de données et d’analyses seraient nécessaires pour les voir apparaître dans l’enseignement, mais de telles situations peuvent être imaginées. Par exemple pour la relation de désignation, il est permis d’envisager qu’une partie du modèle moléculaire soit désignée et que l’utilisateur dise : soit ce point le centre de gravité de la molécule. Quant aux activités cognitives qu’ils permettent : la communication est évidente ; l’activité de conversion est fréquente et se fait couramment pour transformer une représentation (une véritable, en deux dimensions) d’un système sémiotique dans un autre. Ainsi, avoir sous les yeux le modèle moléculaire aide. Les différents modèles de la figure agissent également comme des systèmes sémiotiques distincts au sens où chacun montre de la molécule un aspect particulier. Le modèle compact (figure 9 a) montre l’espace occupé par les électrons des atomes (rayons de Van der Waals) alors que le modèle boule et tige (figure 9 b) matérialise à la fois les atomes et les liaisons qui les unissent. A part leur dimensionnalité, les modèles moléculaires ont donc toutes les caractéristiques des représentations. Ils sont d’ailleurs utilisés comme tel en classe.

Figure 9 : Trois exemples de modèles moléculaires commerciaux: (a) Compact (
Figure 9 : Trois exemples de modèles moléculaires commerciaux: (a) Compact (space filling model), (b) Eclaté (ball and stick model),

Le cadre théorique de Duval proposé pour comprendre le rôle des signes dans l’apprentissage des mathématiques s’est révélé fructueux en chimie. Nous avons pu le montrer dans le cas de l’articulation entre le débriefing d’une activité d’enseignement et la fiche de synthèse correspondante.