1.3. La profondeur de traitement d’une information : un autre courant

Le travail des professeurs Fergus Craik et Robert Lockhart au début des années 70 offre donc un regard totalement différent et plus ou moins précurseur des observations scientifiques ultérieures. Ils mettent en évidence l’impact du type de traitement réalisé sur une information, par rapport à sa mémorisation. Les connaissances en mémoire ne sont donc pas toutes des concepts de nature équivalente ayant subi au préalable un processus d’abstraction. Les connaissances deviennent nuancées par les propriétés qu’elles acquièrent au moment de leur encodage. Cette façon d’envisager le fonctionnement mnésique permettra par la suite d’imaginer plus facilement le lien entre les systèmes sensori-moteurs sollicités au moment de l’encodage et les propriétés sensorielles et motrices composant les connaissances en mémoire. Craik et Lockhart accordent par ailleurs beaucoup d’importance à l’activité du sujet au moment de l’encodage et en particulier à ses intentions et attentes. L’influence du contexte et l’état émotionnel de l’individu apparaissent justement aujourd’hui comme des caractéristiques intrinsèques des connaissances mentales (Craik & Lockhart, 1972).

Ainsi, la théorie de ces auteurs appelée « théorie des niveaux de traitement » suggère que les propriétés des connaissances en mémoire dépendent de la nature de l’activité réalisée au moment de l’encodage sur les informations traitées. Ils considèrent que la profondeur de traitement d’un stimulus varie sur un continuum d’opérations d’encodage, allant d’une simple analyse physique du stimulus à une analyse sémantique très complexe. Les traitements superficiels fourniraient des traces faiblement récupérables alors que des traitements plus profonds seraient à l’origine de traces plus élaborées et donc mieux mémorisées. Dans l’expérience de 1975, les auteurs font varier la profondeur d’encodage pour différents mots grâce à des questions impliquant un traitement superficiel (concernant la structure des mots), intermédiaire (concernant leur phonologie) ou profond (sémantique). Les trois niveaux sont illustrés dans la figure 3 ; les traitements « Category » et « Sentence » appartiennent tous deux au niveau sémantique. Lorsque l’on demande aux sujets pendant une phase test de juger si les mots d’une nouvelle liste sont anciens ou nouveaux, on observe un lien entre le travail cognitif réalisé durant la tâche initiale de mémorisation implicite et l’efficacité des réponses (en terme de temps de réponse et de taux de bonnes réponses). Le processus d’élaboration proposé par la suite pour améliorer le modèle mettra en évidence que même le traitement sémantique à l’encodage peut varier qualitativement (Craik & Tulving, 1975). Selon les auteurs, ce n’est pas seulement la présence ou l’absence d’un encodage profond mais la richesse de l’encodage qui déterminera la nature de la trace mnésique.

Figure 3. Exemples de phrases utilisées dans l’expérience de Craik et Tulving (1975), nécessitant des niveaux de profondeur de traitement différents.
Figure 3. Exemples de phrases utilisées dans l’expérience de Craik et Tulving (1975), nécessitant des niveaux de profondeur de traitement différents.