1.4.1. Critiques des modèles multi-systèmes

Mais qu’en est-il alors des effets de récence et de primauté et des dissociations fonctionnelles? Comment interpréter toutes ces observations scientifiques qui semblaient valider pour une grande part l’existence de plusieurs types de mémoires ?

Les partisans des modèles à traces multiples ont répondu à ces questions en soulignant tour à tour les contradictions et les limites de tels arguments.

Un problème majeur a concerné par exemple le fait que des dissociations fonctionnelles ont été observées entre des tâches de rappel et de reconnaissance impliquant normalement un même système mnésique (Blaxon, 1989 ; Tiberghien, 1997 ; Tulving & Thomson, 1973). La seule possibilité pour les modèles structuraux aurait été de supposer l’existence de deux nouveaux sous-systèmes au sein de la mémoire épisodique. L’évolution du modèle de Tulving en est un autre exemple puisque, afin d’expliquer les amorçages perceptifs, il crée un système, le SRP, responsable des représentations perceptives. Ainsi, une alternative pour chaque nouvelle dissociation observée est la multiplication des systèmes de mémoire. Cependant, ces dissociations peuvent tout aussi bien être expliquées par l’intervention de différents processus de traitements au sein d’un système de mémoire unique. Des tâches mêmes très similaires seraient réalisées par un certain nombre de processus cognitifs communs mais également différents.

En ce qui concerne les effets de récence et de primauté participant à la distinction d’une mémoire à court terme et d’une mémoire à long terme, le même type de critique à été invoqué. Baddeley et Hitch (1977) montrent par exemple qu’en dépit d’une épreuve d’empan à effectuer en parallèle à un rappel libre, les deux effets sont tout de même obtenus. Par ailleurs, il est difficile pour les modèles multi-systèmes d’expliquer les différences de performances mnésiques à court terme selon que la modalité du matériel utilisé est auditive ou visuelle.

Une autre critique concerne les tests utilisés pour distinguer deux systèmes de mémoire et en particulier le test d’indépendance stochastique. Ce dernier considère l’absence de corrélation entre les performances réalisées sur un même matériel dans deux tâches distinctes de mémoire, comme une preuve de l’existence de deux systèmes mnésiques différents. Or certains auteurs qui utilisent deux tâches successives, montrent qu’elles peuvent se contaminer. Si la tâche qui concerne les connaissances épisodiques précède la tâche correspondant aux connaissances sémantiques, une indépendance entre les systèmes est obtenue. Mais quand les tâches sont inversées, une corrélation peut être observée (Jacoby & Witherspoon, 1982).

Enfin, les lacunes théoriques des modèles s’accumulent peu à peu. Les auteurs peinent à expliquer le processus de conceptualisation par exemple, pourtant à l’origine pour de nombreux auteurs, des connaissances sémantiques. Ce processus censé décontextualiser les informations encodées par le cerveau n’est pratiquement jamais décrit dans les articles.

Un changement radical s’opère donc dès les années 80 dans la conceptualisation de la mémoire. Les arguments qui permettaient d’envisager la mémoire comme un ensemble de sous-systèmes sont remis en cause.