La simulation mentale d’un concept dépend des expériences passées et des objectifs du sujet

Le switching intermodal est un outil intéressant qui permet de mieux comprendre certains aspects de l’émergence d’une connaissance. Il montre en effet que la représentation mentale d’un concept émerge préférentiellement dans une modalité sensorielle plutôt qu’une autre et que ce processus est fonction des expériences passées du sujet avec le concept.

À l’université de Rotterdam, Diane Pecher et collaborateurs utilisent régulièrement ce paradigme associé à des tâches de vérification de propriété conceptuelle. Dans un travail de 2004 (Pecher, Zeelenberg, & Barsalou, 2004), ils s’intéressent à la façon dont est affectée la représentation mentale d’un concept par une récente expérience avec ce même concept. Dans leur étude, les sujets vérifiaient un concept lors de deux essais espacés, pour des propriétés de même modalité ou de modalités différentes. Les résultats indiquent que la vérification d’une première propriété pour un concept rendra plus rapide la vérification ultérieure d’une autre propriété si elles sont de même modalité, que de modalité différente. En effet, les sujets sont plus efficaces pour vérifier la propriété visuelle « verte » pour le concept « pomme » si ce dernier à été présenté au préalable avec la propriété visuelle « brillante » plutôt que la propriété gustative « acide ». Il semble donc que pour un même concept, plusieurs simulations sensorielles soient possibles et que certaines puissent être facilitées par une première émergence similaire. (voir aussi Pecher, Zanolie, & Zeelenberg, 2007). L’émergence d’une représentation mentale semble donc se construire préférentiellement à partir d’une modalité sensorielle particulière qui varie en fonction des objectifs du sujet et de ses expériences précédentes.

D’un point de vue plus structural, il est possible d’envisager que deux représentations sensorielles d’un même concept puissent nécessiter l’activation de vastes patterns neuronaux communs si les modalités sensorielles sont les mêmes. Ce chevauchement expliquerait l’effet facilitateur d’une première activation.

D’autres expériences vont plus loin en montrant que quels que soient les concepts évoqués, la réactivation de modalités sensorielles similaires entre deux essais suffit à faciliter la tâche des sujets. Vérifier l’appartenance de la propriété « bruit » pour le concept « mixeur » après avoir vérifié la propriété « fraise » pour le concept « tarte » sera plus lent qu’après avoir vérifié « bruissement » pour « feuille » (Pecher, Zeelenberg, & Barsalou, 2003). Pour les auteurs, ces résultats montrent (indirectement) que la simulation mentale, même d’un concept, nécessite l’activité des zones sensorielles. De plus, ces résultats permettent de penser que recruter deux fois de suite les mêmes aires cérébrales peut être bénéfique en termes de temps de simulation mentale, alors qu’activer successivement des aires différentes ne facilitera pas cette élaboration.

Enfin, l’expérience de van Dantzig, Pecher, Zeelenberg et Barsalou (2008) insiste sur l’implication des aires sensorielles dans le traitement conceptuel. Les sujets réalisaient une tâche de détection perceptive (cible pouvant être une lumière, un son ou une vibration) en alternance avec une tâche de vérification de propriété conceptuelle. Les propriétés pouvaient également correspondre à l’une des trois modalités : visuelle, auditive ou somesthésique. Les résultats indiquent que les vérifications de propriété sont plus lentes lorsque les essais sont précédés par une épreuve perceptive dans une modalité différente qu’une épreuve perceptive dans une modalité identique.

Pour conclure, les modèles actuels de la mémoire que nous présenterons dans le chapitre 3, s’inspirent de l’ensemble des expériences précédemment citées et des observations issues des neurosciences. L’une de leurs principales hypothèses concerne l’existence de systèmes neuronaux communs nécessaires à la fois à la perception et au traitement conceptuel. Pour Lawrence Barsalou et pour de nombreux auteurs, évoquer en mémoire une connaissance particulière nécessite entre autre la réactivation des aires qui ont été impliquées durant l’encodage de cette information. L’émergence d’une connaissance est donc la réactivation de différents composants sensoriels mais également moteurs. La partie suivante est consacrée plus spécifiquement aux expériences qui concernent les propriétés motrices des représentations mentales.