Des représentations mentales dynamiques : le mouvement

Un dernier aspect des représentations mentales que nous voulions évoquer concerne le mouvement. Certaines expériences explorent en effet la nature dynamique des simulations sensori-motrices, en l’occurrence dans le domaine de la compréhension du langage.

Par exemple, Zwaan, Madden, Yaxley, et Aveyard (2004) utilisent un paradigme consistant à présenter auditivement une phrase impliquant le mouvement d’un objet se rapprochant ou s’éloignant du sujet (« le lanceur vous jette la balle », par exemple), suivie, après un délai de 750 ms, de 2 images consécutives séparées par un masque d’une durée de 150 ms. Les images pouvaient représenter 2 objets identiques, avec toutefois une légère différence de taille qui imputait un mouvement d’approche ou d’éloignement des objets l’un à la suite de l’autre. Les objets pouvaient également être totalement différents. La tâche des sujets était de dire si les deux objets étaient identiques ou différents. Les résultats montrent que les participants sont plus rapides pour répondre lorsque le mouvement induit par les images est congruent plutôt que non congruent avec la direction du mouvement décrit dans la phrase. D’après les auteurs, ces résultats indiquent que la compréhension du langage nécessite une simulation perceptive et dynamique de la situation décrite. Ils proposent qu’au fur et à mesure de nos interactions avec les objets, nous construisions des associations spatio-temporelles entre les patterns visuels qui nous permettent de créer la dynamique des mouvements des objets dans nos représentations. Ainsi, notre représentation visuelle du mouvement d’une balle se rapprochant de nous, implique que cet objet occupe rapidement plus d’espace de notre champ visuel et inversement pour un objet qui s’éloigne.

De la même façon, Kaschak et al. (2005) se sont intéressés à la construction de simulations perceptives d’événements décrits dans des phrases. Les participants entendaient des phrases qui décrivaient un mouvement dans une direction particulière et devaient juger leur sens. Simultanément, ils voyaient des stimuli noir et blanc qui engendraient la perception d’un mouvement dans la même direction ou dans une direction opposée à celle décrite dans la phrase. Les résultats indiquent que les sujets sont plus rapides lorsque les phrases décrivent un mouvement dans le sens opposé à celui perçu visuellement qu’un mouvement dans le même sens. Cette expérience comme la précédente montrent que les simulations relatives à la compréhension du langage présente un caractère perceptif dynamique. L’effet inhibiteur de la congruence des mouvements résulte d’après les auteurs, d’une « compétition » entre l’élaboration de la représentation mentale nécessaire à la simulation de la phrase et celle nécessaire à la simulation de l’objet perçu, créée simultanément. Ils considèrent en effet que les régions cérébrales impliquées dans l’élaboration de ces représentations sont en réalité sous-tendues par les mêmes structures neuronales et donc que les représentations ne peuvent s’élaborer simultanément mais au contraire successivement. Les composants moteurs sont « engagés » dans la représentation mentale émergente à partir du stimulus et ne peuvent être temporairement recrutés par la seconde représentation nécessaire au traitement de la phrase. En revanche, le décalage temporel dans l’expérience de Zwaan et al. (2004) entre le mouvement décrit dans la phrase et le mouvement observé permet au contraire de faciliter le traitement visuel. Il s’agit d’un amorçage de l’activité des structures impliquées (voir aussi Kaschak, Zwaan, Aveyard, & Yaxley, 2006).

Pour résumer, l’ensemble de ces travaux tend à montrer que nous créons des représentations mentales dynamiques et sensori-motrices, au même titre que les stimuli qui nous entourent et avec lesquels nous interagissons habituellement. Les nouveaux modèles de la mémoire vont parler de connaissances qui émergent à partir de la réactivation de composants sensoriels et moteurs de traces mnésiques, tributaires de l’activité des aires primaires.