4.3. Discussion du chapitre 4

Au terme de ce premier chapitre expérimental, nous pouvons constater que les résultats obtenus ont mis en évidence des effets seulement en partie conformes à nos hypothèses initiales.

Les expériences 1 et 2 ont été élaborées à partir de la manipulation du composant « geste » impliqué selon nous dans les connaissances nécessaires pour catégoriser certains objets usuels. Plus particulièrement, nous avons voulu étudier le processus d’intégration mis en oeuvre entre ce composant moteur et un ensemble d’autres composants multisensoriels regroupés sous le facteur « catégorie ». Dans un premier temps, l’utilisation des SOA de 1000 et 300 ms n’a pas été efficace, faisant uniquement apparaître une faible tendance à l’interaction entre les facteurs quel que soit le délai. Nous avons alors supposé que 300 ms était peut-être un délai pour lequel le processus d’intégration avait déjà eu le temps de se mettre en place. Et en effet, grâce à l’utilisation de SOA plus courts, nous avons réussi à obtenir des effets d’amorçage distincts de l’amorce sur le traitement de la cible. Avec un SOA de 100 ms, les deux facteurs se sont exprimés de façon indépendante, influençant séparément le traitement. En revanche, l’utilisation d’un SOA de 300 ms a donné lieu à une intégration geste*catégorie. L’impact du facteur geste avec un délai « long » a donc été tributaire de l’état des autres composants multisensoriels et réciproquement. Globalement, ces résultats ont montré que le processus d’intégration rendait la représentation mentale de l’amorce unifiée et permettait un phénomène d’amorçage uniquement quand un très grand nombre de composants était commun avec la représentation mentale en lien avec la cible.

La volonté de maîtriser davantage le nombre de composants impliqués dans notre étude de la dynamique d’émergence des connaissances, nous a conduit à construire les expériences suivantes à partir de facteurs différents. Les propriétés sensorielles taille et sonorité ont été les facteurs sélectionnés, impliqués selon nous dans la représentation mentale en lien avec les objets manufacturés que nous avons choisis.

Le but a été de nouveau d’isoler des effets principaux indépendants de chacun des facteurs avec un SOA court et de mettre en évidence une interaction entre les facteurs avec un SOA long. L’utilisation de délais de 100 ms et de 500 ms a donné des résultats allant dans le sens d’une interaction quel que soit le SOA dans laquelle l’expression de la sonorité dépendait de l’expression de la variable taille et inversement. Par ailleurs, l’analyse complémentaire a permis de confirmer que ces effets d’amorçage étaient dus à l’activation et l’intégration de composants sensoriels et notamment sonore, puisque l’interaction n’était observée que pour les cibles sonores. Enfin, l’expérience 4 devait nous permettre de mettre en évidence l’autre processus qui nous intéressait et que les SOA utilisés dans l’expérience 3 n’avaient pu montrer. Hélas, nous n’avons pas trouvé d’effet d’amorçage indépendant pour chacune des deux propriétés manipulées malgré un SOA abaissé à 50 ms.

Ce premier chapitre expérimental est donc en partie conforme à nos hypothèses. Cependant, le fait de ne pas avoir réussi à isoler des effets additifs malgré la manipulation dans la section 4.2 d’éléments visuels et auditifs distincts, nous a conduit à en discuter les raisons et à modifier de nouveau notre protocole expérimental. D’un côté, il est possible que l’interaction obtenue soit le reflet d’une intégration très précoce entre ces deux types de composants (nous avons déjà évoqué la littérature issue des neurosciences qui montre une interaction dès 100 ms, voire plus précocement, entre les composants d’un percept multisensoriel et en particulier visuo-auditif ; voir Fu et al., 2003; Giard & Peronnet, 1999). D’un autre côté, nous pouvons également envisager que la tâche de catégorisation utilisée dans les expériences 3 et 4 soit une tâche qui nécessite obligatoirement l’intégration des différents composants constitutifs de la cible. Ainsi, quel que soit l’état d’émergence de l’amorce, son action ne pourrait être efficace que si elle est identique ou tout du moins si elle partage un grand nombre d’éléments avec la cible. Par ailleurs, les difficultés impliquées dans la maîtrise d’un matériel d’objets déjà existants ont été nombreuses et sans doute à l’origine des différences obtenues dans l’analyse par items. Comme nous l’avons précédemment dit, certains items n’ont pas semblé être totalement efficaces, l’effort nécessaire pour les identifier variant malgré le contrôle de leur familiarité. À ce manque d’homogénéité dans la sélection des images, s’ajoute une corrélation potentielle entre les facteurs qui a pu biaiser nos résultats. En effet, il est possible que les objets de grande taille soient plus enclins à être sonores et réciproquement. Ainsi, le manque d’indépendance au niveau des composants manipulés pourrait être une autre raison à l’absence d’effet additif avec un SOA court.

Pour résumer, à ce stade de notre démarche expérimentale nous avons voulu de nouveau davantage maîtriser les composants sensoriels étudiés. Cette fois-ci, nous avons eu recours à un matériel totalement construit de sorte que les amorçages soient le résultat de composants (mnésiques) totalement identiques entre l’amorce et la cible. L’objectif à donc été de trouver une nouvelle façon d’appréhender l’émergence des connaissances à partir de stimuli simples, inconnus des participants et caractérisés par un nombre restreint de propriétés.