5.3. Discussion du chapitre 5

À l’issue de ces trois expériences, nous sommes parvenus à élaborer un protocole expérimental capable de distinguer les processus d’activation et d’intégration nécessaires à l’émergence d’une connaissance simple et nouvellement apprise. La maîtrise des composants a été déterminante tout au long de ce chapitre et les expériences 5 et 6 nous ont permis d’optimiser d’une part le matériel et d’autre part le protocole.

Dans un premier temps, nous avons opté pour la manipulation de deux propriétés visuelles qui étaient la forme et l’orientation de figures géométriques. N’ayant pas de références expérimentales directes, nous avons choisi de façon arbitraire des rectangles et des ellipses orientés verticalement ou horizontalement. Chacune des figures était reliée dans la mémoire du sujet, grâce à la phase d’apprentissage, à une couleur particulière utilisée dans la phase test comme amorce. Comme dans le chapitre précédent, nous avons utilisé un paradigme d’amorçage à court terme et nous nous attendions à ce que la présentation d’une de ces couleurs avant le traitement de la cible induise des effets d’amorçage distincts en fonction du SOA utilisé.

Le fait d’obtenir un effet significatif global du composant forme a été positif. La couleur avait donc induit un amorçage sensoriel à partir d’un composant mnésique que les sujets n’avaient pas à traiter. En revanche, malgré la double interaction mise en évidence entre nos trois facteurs, les analyses de variance séparées pour chaque SOA n’ont fait ressortir qu’un effet de la forme, pour le SOA de 500 ms. Toutefois, l’absence d’interaction pour ce délai ainsi que l’absence d’effet additif pour le SOA de 100 ms ont eu le mérite de nous encourager à remettre en question la validité de nos facteurs et à les optimiser.

L’expérience 6 a donc bénéficié de ces changements. En particulier, nous avons constaté que les deux facteurs que nous avions utilisés n’étaient en réalité pas tout à fait distinguables l’un de l’autre. En effet, la forme et l’orientation semblent au contraire visuellement dépendantes, créant une figure unique et particulière. Manipuler des composants réellement indépendants nous a donc conduit à choisir un autre facteur, la position des figures. Par ailleurs, la phase d’apprentissage a été modifiée afin de rendre l’apprentissage des stimuli plus actif et par conséquent plus efficace. Enfin, afin de s’assurer que l’amorçage allait pouvoir également avoir lieu sur la composante forme, nous avons ajouté une consigne qui impliquait que le sujet traite à la fois la forme et à la fois la position de la cible sans pour autant avoir besoin d’intégrer ces composants l’un à l’autre.

Les résultats de cette expérience ont été de nouveau seulement en partie conformes à nos attentes. Comme dans l’expérience 5, un effet global de la forme à été obtenu. Par ailleurs, une interaction forme*SOA a été constatée, traduisant une facilitation de la similarité de la forme entre amorce et cible uniquement pour un délai court de 100 ms. Les résultats de l’expérience 6 ont aussi montré une interaction entre nos facteurs forme et position indiquant des modulations du temps de traitement de la cible en fonction de la modalité de la forme lorsque amorce et cible avaient une même position. Une des hypothèses rapidement envisagée quant au faible impact de notre deuxième facteur a été l’incidence de la consigne concernant les carrés sur l’amorçage éventuel de la position. Selon nous, cette consigne étant potentiellement à l’origine de modifications incontrôlables, impliquant un traitement temporellement ou qualitativement différencié des deux facteurs, nous avons décidé de construire une nouvelle expérience cette fois-ci sans cette consigne.

Ce dernier changement de protocole a été bénéfique. Le profil de nos résultats a correspondu pleinement à nos hypothèses. D’une part des effets d’amorçage sensoriel des facteurs ont été observés et d’autre part une double interaction forme*position*SOA a montré la dépendance de l’impact de ces facteurs, au temps plus ou moins long laissé à leur émergence. Cette dernière expérience à également montré que le traitement de la forme s’est fait de façon automatique sans consigne particulière la concernant. Nous reparlerons du phénomène d’automaticité dans notre discussion générale.

Au-delà de la mise en évidence d’une dynamique d’émergence de connaissances nouvellement apprises, l’évolution du protocole au fur et à mesure des expériences de ce chapitre, met en relief les difficultés observées dans la construction d’une telle étude. Elle souligne par exemple l’importance de l’indépendance des facteurs utilisés. Nous retiendrons également que la nature de la tâche est elle aussi déterminante et qu’il est préférable que sa réalisation ne nécessite pas l’intégration des composants relatifs au stimulus à traiter. Par ailleurs, après avoir testé un certain nombre de sujets avec ce type de protocole, il apparaît fondamental de construire une phase d’apprentissage véritablement efficace. L’apprentissage actif, multipliant les modalités d’apprentissage sera donc préféré à un apprentissage passif.

Enfin, il est important de rappeler que les délais différents qui correspondent selon nous à un état d’activation des composants de l’amorce et à un état d’intégration de ces composants dans notre dernière expérience, ne sont valables que pour la modalité et les facteurs sensoriels étudiés. Cependant, cette expérience associée aux expériences du chapitre 4, procurent un profil similaire de résultats qui va dans le sens de l’existence d’une dynamique d’émergence des connaissances, tributaire du processus d’intégration également impliqué, selon nous, dans l’activité perceptive réelle.