I.1.D Le développement cognitif

Des précurseurs de l’approche cognitive de l’intelligence

Afin de situer la problématique de la genèse, de la structure et du fonctionnement de la représentation dans le développement cognitif, nous décrivons quelques éléments fondamentaux des théories du développement et plus particulièrement le rôle que les représentations y jouent. En psychologie cognitive,

‘« l’étude chez l’enfant de la résolution de problèmes et de l’acquisition de connaissances » est centrale « dans une perspective développementale » (Bastien, 1997). ’

En psychologie cognitive, Sternberg (1996) prend comme référence quatre théories sources : la psychologie génétique de Piaget, la théorie néo-piagétienne, la théorie de Vygotski et la théorie des processus cognitifs. Il manque encore les collaborations de la psychologie dynamique, de la théorie connexionniste et de la théorie de l’enaction.

Selon Piaget (1937 ; 1947 ; 1967a ; 1967b ; 1970), le développement cognitif arrive par un processus d’équilibrage entre l’assimilation et l’accommodation. Par l’expérience, l’enfant a accès à plusieurs sensations qui seront annexées, assimilées, à un schéma que le sujet en développement possède déjà. Les premiers schémas de l’assimilation des nouvelles expériences sont très primitifs, à l’image des réflexes observés chez les nourrissons. Etant donné la quantité de nouvelles assimilations, les schémas n’arriveraient plus à une bonne organisation de tout son contenu. Dès lors, il est nécessaire de trouver une organisation plus efficace. L’action de changement de l’organisation des schémas pour les rendre plus efficace est l’accommodation. En accommodant d’une nouvelle façon ses schémas sensori-moteurs, un bébé qui a du mal à attraper un ballon va arriver à le faire.

Piaget (1937 ; 1947) a énuméré quatre grands stades du développement cognitif, à savoir : le stade sensori-moteur, le stade pré-opérationnel, le stade opérationnel concret et le stade opérationnel formel. Différents domaines de l’apprentissage, le verbal, la perception, etc., possèdent un développement parallèle. Piaget est connu pour privilégier la maturation de l’organisme dans l’explication du développement cognitif et ses théories devraient être ajustées à celle de Vygotski afin de rendre plus visibles les influences sociales (Vergnaud, 1985).

Dans ce contexte, Piaget dit que les connaissances sont originaires de l’action, pas par simple associationnisme mais liés et organisées par les « conditions nécessaires et générales de l’action ». L’intelligence et les connaissances pour Piaget dépendent des capacités d’assimilation de l’action sur le monde externe au travers de structures de transformation qui évoluent en fonction de l’assimilation.

En quoi se ressemblent les « structures qu’élaborent l’intelligence » de Piaget ?Le début de l’intelligence correspond aux capacités de développement du système. Ce sont des structures dynamiques et adaptatives. L’intelligence dépend de la transformation des structures de l’intelligence. Dans cette boucle entre « processus » et « structure », Parisi & Schlesinger (2002) ont vu un lien entre la théorie de Piaget et les théories de la vie artificielle.

‘« Atteindre le mécanisme causal d'une genèse consiste en premier lieu à reconstituer ce qui est donné au point de départ (...) et en second lieu à montrer de quelle manière (...) ces structures de départ se transforment en celles dont il s'agit de rendre compte. » (Piaget, 1967b)’
Piaget postule que les structures qui élaborent l’intelligence et qui font passer d’une étape à l’autre du développement intellectuel possèdent des repères internes, des informations internes pour accomplir ce développement. Ces structures se construisent et se mettent en œuvre à partir des expériences et de certains équilibres atteints entre l’assimilation et l’accommodation.

Les néo-piagétiens donnent plus d’importance à l’environnement que Piaget lui-même mais ils sont d’accord sur le sujet du processus d’équilibrage et sur le développement parallèle.

La théorie du développement cognitif de Vygotski (1896-1934) change radicalement de la théorie de Piaget. Le principe du développement n’est plus l’équilibrage mais l’internalisation. L’internalisation résulte des interactions du sujet apprenant avec son environnement, qu’il soit physique ou social. Selon Vygotski, les personnes ont en permanence une Zone de Développement Proximal (ZDP), c’est-à-dire, dans la pratique cela veut dire qu’une personne a des habilités acquises qui lui permet une bonne performance sur certaines tâches et qui permet aussi la solution d’autres tâches avec un peu d’aide (médiation). Pourtant, toujours avec les mêmes habilités, il existe des tâches qui sont au-delà de ses capacités. De ce fait, l’auteur donne beaucoup de valeur au rôle du médiateur de l’apprentissage, à l’apprentissage assisté, etc. qui fait avancer la ZDP.

Pour Vygotski (1978) les structures qui élaborent l’intelligence et la font évoluer sont internalisées de l’environnement physique et social. Quelque soit le domaine d’apprentissage, Vygotski (1978) souligne que l’environnement est un support structurant, i.e., un guide si important que la maturation de l’organisme biologique, dans le développement cognitif. Ainsi, l’environnement social peut déterminer le développement qui se fait de façon continue, et non par étapes comme le veulent les piagétiens.

En psychologie cognitive, Sternberg (1996) liste quelques points communs entre les psychologues cognitifs concernant le développement cognitif.

De l’organisme provient le support structurel et fonctionnel pour le développement (tous les modules cognitifs) ;
De l’environnement physique et social provient un apport qui permet à l’organisme son développement cognitif, pas par étapes, mais en continue ;
Le développement cognitif est vu comme des changements internes dans les processus cognitifs mettant en interaction la maturation de l’organisme, les événements environnementaux et les particularités de chaque individu.

Dans l’approche symbolique, la représentation matérielle est vue comme la « structure de l’intelligence » celle qui permet les « assimilations », « accommodations » et le développement de l’intelligence. Newell (1982) met les systèmes de représentations matérielles (SRM) au rang des causalités, de la structure active de l’intelligence.

Dans la théorie de l’enaction, la cognition est auto-poïétique et il n’existe pas une relation d’identité avec les représentations symboliques. Le développement cognitif est vu comme le résultat d’une dynamique intrinsèque, c’est-à-dire qu’il existe à l’intérieur de tendances de coordination qui sont relativement autonomes (Thelen & Smith, 1993), (Kelso, 1995). Apprendre à monter un plan incliné est le produit des capacités des systèmes dynamiques chez les bébés par exemple. Les systèmes cognitifs peuvent s’adapter à leurs propres corps en les ajustant, tant d’un point de vue phylogénétique que d’un point de vue ontogénétique (Thelen & Smith, 1993).

Plus récemment, certains théoriciens soutiennent que les systèmes sociaux sont des systèmes cognitifs. Halbwachs (1950) décrit des mémoires collectives. Une mémoire collective distribuée qui ne se réduit pas au mental d’un individu humain, mais qui existe au niveau des représentations mentales répartis entre des être humains. Une autre mémoire collective existe, dans un autre niveau, complètement indépendant de tout mental et intégralement sociale. Le système social à travers les interactions des êtres humains, construit des classes sociales, des groupes opérationnels et spécialisés sur certaines activités. Des groupes avec des individus jouant différents rôles et spécialisés sont décrits comme mémoires collectives. Ils sont possibles indépendamment des planifications mentales, ils émergent spontanément (Hayek, 1967). Moscovici (2000) tient en compte les deux niveaux de mémoire collective dans les sociétés humaines et affirme qu’elles sont les bases des concepts de représentations sociales, une qui traverse le mental des personnes, l’autre qui existe dans le corps social mais qui dépasse complètement le niveau mental.