La complexité systémique de l’intelligence et du développement cognitif

L’histoire des tests d’intelligence se confond parfois avec celle de la psychologie. Francis Galton (1822-1911) voyait l’intelligence comme des habilités psychophysiques. Il a entrepris de mesurer la discrimination du poids des objets ou l’habilité de repérer des petites différences entre des notes musicales. Alfred Binet (1857-1911), et son collaborateur Theodosius Simon, ont eu l’idée de différencier les capacités mentales chez les personnes « normales » et celles qui ont un retard d’apprentissage. Les mesures, la psychométrie et la psychologie différentielle ont connu un essor notable et une très large applicabilité. Actuellement, la communauté des psychologues cliniciens responsables pour l’évaluation et le diagnostique de l’intelligence chez les enfants utilisent une nouvelle version de l’Echelle l’Intelligence de Wechsler pour Enfants, le WISC-IV qui succède à plusieurs d’autres, Wechsler Adult Intelligence Scale – Revised (WAIS-R), WISC-III, Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence (WPPSI).

Figure 3. Répartition des quinze sous-tests du WISC-IV selon son indice (d’après Wechsler, 2005, p. 6)
Figure 3. Répartition des quinze sous-tests du WISC-IV selon son indice (d’après Wechsler, 2005, p. 6) QIT (Quotient Intellectuel Total) ; ICV (Indice de Compréhension Verbale) ; IRP (Indice de Raisonnement Perceptif) ; IMT (Indice de Mémoire de Travail) ; IVT (Indice de Vitesse de Traitement). Les sub-tests supplémentaires sont indiqués en italique.

Pour les professionnels de l’évaluation et du diagnostic psychologique, qui cherchent à en savoir plus sur la structure et le développement de l’intelligence, plusieurs théories et expérimentations en psychologie cognitive montrent un panorama assez large et hétérogène de l’intelligence. Charles Spearman (1863-1945), par des modèles factoriels, propose un facteur « g » responsable de la performance à tous les tests d’intelligence, comme attracteur pour les habilités spécifiques. D’un autre coté, des modèles multidimensionnels sont proposés, tels que la structure en cube de l’intellect de J. P. Guilford (1967, 1982), faisant déjà une complexité de, pour 5, 5 et 6 modules par dimension (opérations, contents, produits), 52*6 = 150 facteurs. La complexité du système a amené plusieurs psychologues à proposer des modèles simplistes ou des modèles hiérarchiques pour réduire cette complexité combinatoire.

Figure 4. La structure en cube de l’intellect de Guilford. Les opérations (cognition, mémoire, production divergente, production convergente, évaluation), les produits (unités, classes, relations, systèmes, transformations, implications) et le contenu (symbolique, sémantique, comportementale, auditif, visuel) composent les trois dimensions du modèle (Sternberg, 1996).
Figure 4. La structure en cube de l’intellect de Guilford. Les opérations (cognition, mémoire, production divergente, production convergente, évaluation), les produits (unités, classes, relations, systèmes, transformations, implications) et le contenu (symbolique, sémantique, comportementale, auditif, visuel) composent les trois dimensions du modèle (Sternberg, 1996).

Nous pouvons représenter la complexité de la structure de l’intellect de Guilford par un arrangement sans répétition, car l’ordre d’apparition d’un facteur compte et il ne faut pas répéter le même facteur dans un arrangement. Le nombre total d’arrangements possibles est ainsi dans le modèle de Guilford appelé V :

Le développement intellectuel ne passe surement pas par tous ces arrangements, parce que sinon il faudrait, en passant par un arrangement par seconde, 13*10254 d’années pour les parcourir tous. Cela fait sensiblement plus que l’âge de l’univers, qui est seulement de 15*109d’années. Il est plus raisonnable de penser que le développement cognitif connaît assez bien son chemin. Des systèmes internes, des apports environnementaux et sociaux sont très importants pour guider ce système complexe adaptatif.

Dans cette perspective, Thelen & Smith (1993) ont proposé de décrire le développement psychomoteur chez les bébés à partir de notions dynamiques, car l’auto-organisation du système réduit la complexité combinatoire. La stabilité d’attracteurs dans les étapes du développement est influencée par des variables internes et externes à l’organisme. Ainsi, la transition d’une étape vers une autre, du développement du corps, peut être initialisée par le poids de l’enfant, sa taille, etc. La cognition supérieure se développe par la succession d’attracteurs d’une façon dynamique en opposition à l’hypothèse traditionnelle du traitement de l’information soulignant la maturation du cerveau comme le déterminant exclusif du développement cognitif, des raisonnements et des habilités psychomotrices (Thelen & Smith, 1993).

Selon Geert (1994) les propriétés du développement mental et du développement du comportement dépendent des ressources internes et externes à l’organisme complexe. Le développement réagirait à des différentes natures de ressources.

‘« Mental growth (cognitive, behavioural, etc.) is as dependent on resources as biological or bodily growth. For the sake of arranging an overview of the different resources; it could be convenient to make a distinction between two descriptive dimensions. The first concerns the origin of resources and distinguishes between internal (within the subject) and external (outside the subject) ones; the second dimension deals with the nature of the resources, namely spatial-temporal, informational, energetic-motivational and material resources. » (Geert, 1994, p. 107)’

La diversité et la complexité à grande échelle de la cognition la définit comme un système capable de se développer tout en faisant évoluer sa structure par un couplage avec le corps, le milieu physique et social (van Gelder & Port, 1995). Une caractéristique assez forte de l’approche dynamique est de la voir la cognition dans le temps, comme un système temporel, en évolution et en développement. C’est ce qui marque la différence de ce paradigme par rapport au connexionnisme et au symbolisme (Eliasmith, 1996).

Notes
1.

QIT (Quotient Intellectuel Total) ; ICV (Indice de Compréhension Verbale) ; IRP (Indice de Raisonnement Perceptif) ; IMT (Indice de Mémoire de Travail) ; IVT (Indice de Vitesse de Traitement). Les sub-tests supplémentaires sont indiqués en italique.