Le symbole comme solution au problème de Brentano

Nous pouvons ainsi poser la question fondamentale du problème énoncé notamment par Brentano en 1874 :

‘Comment l’esprit joue en tant que cause dans un monde régi par les lois de sciences tels que la physique ?’

Plutôt que de poser la question dans un cadre philosophique, phénoménologique ou autre, ici la question s’inscrit dans le domaine scientifique, dans le cadre des modèles et formalismes pour la compréhension du monde tel qu’il est construit par les sciences.

Une limitation très importante de l’approche symbolique vis-à-vis de la modélisation des systèmes cognitifs est qu’elle réduit la causalité des représentations à son niveau symbolique. Dans cette approche non holiste, il faut réduire la sémantique au symbole car le symbole serait exclusivement causal ou matériel. Les représentations internes sont vues exclusivement comme des structures symboles, même si le cerveau pose des soucis insurmontables. Cette approche des représentations supporte les limitations du symbolisme lorsqu’il s’agit de traiter le problème des représentations internes. Toute la dimension holiste est exclue, malgré l’aspect systémique de la nature.

‘« This conundrum is sometimes called « Brentano’s problem, » after the psychologist who first appreciated its force. Brentano saw no way out of the puzzle except by accepting that mental events are not governed by physical laws but by their own mental principles. The answer I ultimately give to this puzzle is that the causes of the behavior are not literally numbers, anticipated future events, or other « intentional objects » but rather some physically instantiated internal representation of such things, that is, a physical code or a symbol. » (Pylyshyn, 1984, p. 26)’

Le cognitivisme souhaite dépasser le déterminisme des lois physiques par le traitement de l’information ou encore, par l’implémentation de systèmes de traitement de symboles. Pylyshyn (1984) dit que l’instanciation de la représentation est dans la manipulation mécanique de la logique et non dans les chiffres en abstraits (héritage platonicien). Dans une série telle que 2, 4, 6, … la suite ne se fait pas par les chiffres eux-mêmes mais par un calculateur matériel, un ordinateur, une machine de manipulation de symboles. Dans le même sens, l’intentionnalité n’a pas lieu dans le monde des idées ou sur une res cogitans, mais dans le monde extenso, dans l’espace et dans le temps, et pas plus privé que notre compréhension ne le permet.

La critique que Rocha & Hordijk (2005) font à la solution symbolique du problème de Brentano consiste à voir le déterminisme dans le système autrement. Un système de manipulation de symboles n’est plus déterminé par les lois physiques grâce aux règles logiques instanciées, sauf en cas de coupure de courant ou de panne matérielle, etc. Pourtant, chaque état du système est déterminé par son état précédent. Par conséquent, ces systèmes sont très spécialisés pour les problèmes pour lesquels ils ont été construits. Ils ont du mal à s’adapter même à des problèmes très similaires, d’où le courant de recherche du raisonnement à partir de cas (Cordier et al., 2008).

Dans l’approche multi-agents, ces systèmes sont à base d’agents, des entités de manipulation de symboles par instanciation des règles logiques. Mais l’émergence des représentations ne peut pas être comprise par une approche centrée sur l’agent, car à ce niveau il n’existe pas une dimension holiste. Il nous faut un système multi-agent dans l’approche des représentations émergentes. Ici, le problème de Brentano se renouvelle. Dans quelle mesure les systèmes multi-agents peuvent répondre au problème des représentations émergentes ? Autrement dit, comment un système émergent devient-il causal ?