II.2 Concepts et méthodologies multi-agents

II.2.A L’intérêt de l’approche à base d’agents

Les agents, dans les systèmes multi-agents, sont utilisés en tant qu’outil expérimental en sciences de l’Homme et de la Société (Gilbert & Doran, 1994), (Gilbert & Conte, 1995), (Epstein & Axtell, 1996), (Wooldridge, 1996), (Amblard & Phan, 2006). L’idée est de se servir des agents pour représenter les unités ou individus étudiés. Ainsi, un agent peut représenter une personne, une organisation, etc. (Wooldridge, 2002) mais aussi des éléments physiques, comme des objets divers, de l’eau, etc. (Ferber, 1995).

Les intérêts de la modélisation et de la simulation à base d’agents pour les théories sociales sont, selon Conte & Gilbert (1995), les suivants :

  • La prévision puisque de propriétés sociales d’un modèle multi-agents concret peuvent être observées, même si le système naturel n’est pas stable ;
  • Des possibilités alternatives pour un système naturel peuvent être trouvées ;
  • Des propriétés difficiles à observer dans la nature peuvent être étudiées au ralenti et isolées, comparées, enregistrées et reproduites si nécessaire ;
  • La « sociabilité » peut être formellement modélisée. Les agents ont des représentations d’autres agents et de l’environnement, faisant que les propriétés et les implications de ces propriétés peuvent constituer un sujet d’étude.

En psychologie, les systèmes multi-agents ont les mêmes intérêts, sauf que l’accent quitte le concept de sociabilité afin de souligner celui de mental, notamment les propriétés mentales qui résultent de l’implémentation des architectures étudiées (Kennedy & Eberhart, 1995). En fait, l’approche agent offre plus que des modèles cognitivistes pour l’étude de la cognition.

Dans le domaine de l’Intelligence Collective, l’intérêt des SMA vient du fait qu’ils sont une structure complexe pour l’émergence des propriétés du mental. L’ « Intelligence en Essaim » (« Swarm Intelligence ») ou l’Intelligence Collective, émerge de l’équilibre entre l’individualité et la sociabilité des modèles à base d’agents. L’intelligence collective se montre irréductible au niveau individuel quand les informations pour résoudre un problème sont distribuées dans le système multi-agent. Dans ce cas un agent est souvent mal placé pour résoudre seul les problèmes, et des ordres ou organisations spontanées apparaissent pour guider le système vers la solution comme une « main invisible ». Deux systèmes de résolution de problèmes d’optimisation sont explorés plus en détails dans le chapitre suivant, le « Particle Swarm Optimization » (PSO), introduit par un psychologue et un ingénieur (Kennedy & Eberhart, 1995) et l’ « Ant Colony Optimization » (ACO) (Dorigo, Maniezzo et Colorni, 1996).

D’un point de vue plus proche de l’intelligence artificielle distribuée et parallèle et de la Vie Artificielle, on peut souligner l’intérêt de la modélisation et de la simulation à base d’agents comme étant :

  • L’observation de l’émergence de propriétés mentales (Kennedy, Eberhart et Shi, 2001), tels que la reconnaissance de formes et l’imagination (modification d’images) (Ramos & Almeida, 2000), et aussi l’émergence de stratégies de résolution de problèmes, par exemple pour jouer aux échecs (Drogoul, 1995) ;
  • L’étude de l’émergence de sens, « emergence of autonomous representations » d’après Arnellos, Vosinakis, Spyrou et Darzentas (2006), par la négociation de symboles. Un collectif d’agents construit une ontologie commune pour faire référence aux objets et aux agents dans leur environnement (Loula et al., 2003). Steels (2000a ; 2000b) défend l’idée que, par la négociation de symboles, les humains et les machines pourront communiquer en langue naturelle. D’après Brassac & Pesty (1998), la simulation de la conversation entre humains et un défi pour les systèmes multi-agents.
  • L’étude de l’émergence de représentations, telles que l’émergence de fonctions logiques et de systèmes dynamiques isolés. Il s’agit de l’émergence d’une mémoire dynamique par la fixation de représentations dynamiques dont le rôle principal est le guidage du développement de l’organisation du système (Mitchell, 1998), (Rocha & Hordijk, 2005), (Carvalho & Hassas, 2005a, 2005b).

Par rapport aux statistiques, les simulations à base du paradigme multi-agents auraient des avantages en ce qui concerne l’aspect dynamique des modèles multi-agents. Ainsi, pour plusieurs systèmes naturels, il y a des comportements qui ne peuvent pas être prédits par des approches statistiques classiques ou par de simples analyses (Wooldridge, 2002). Toutefois, l’évaluation de la performance des systèmes artificiels intelligents se fait à l’aide des statistiques différentielles (Ferber, 2006).

L’agent est l’unité de traitement de l’information des SMA et sa conception suit les préceptes traditionnels de l’approche symbolique. Dans la modélisation multi-agents, deux perspectives d’agents s’opposent. Cette divergence, loin d’être dialectique, vient plutôt souligner des préférences pour la modélisation et l’implémentation des agents. Le choix d’agents cognitivistes se fait normalement par des modélisateurs qui gardent un point de vue plus proche de l’Intelligence Artificielle classique. Une approche réactive des agents est habituellement présente chez les modélisateurs plus proches de la Vie Artificielle.

Les SMA sont nés du rapprochement de l’Intelligence Artificielle classique et de la programmation par objets (Ferber, 2006). L’autonomie et l’intentionnalité sont des concepts clés pour la compréhension des agents.

Etant donné une tâche, par exemple servir du café, on pourrait écrire l’algorithme suivant : 1) disposer une tasse sur la table ; 2) prendre la cafetière avec du café chaud ; 3) verser doucement du café dans la tasse. Cette procédure se fait différemment en programmation orientée objets (Rumbaugh, 1991) : 1) appeler une tasse pour qu’elle se dispose sur la table ; 2) demander à la cafetière qu’elle vérifie qu’elle contient du café chaud ; 3) demander à la cafetière qu’elle verse doucement du café dans la tasse.

La programmation par objets fait que la notion même de programme n’est plus monolithique et est plutôt vue comme la mise en œuvre d’un « ensemble d’entités élémentaires, relativement autonomes » (Ferber, 2006). Pourtant, un certain nombre de concepts et de capacités ne sont pas liés aux objets. Il n’est pas lié aux objets les capacités cognitives telles que les raisonnements, émotions, prises de décisions basées sur des représentations sociales ou même la notion de cognition située dans un contexte social et environnemental. Les objets n’ont pas une structure sociale entre eux avec des rôles et une organisation.

Dans le contexte de la modélisation des systèmes complexes, qui n’ont toujours pas trouvé de formalismes mathématiques appropriés, les SMA émergent comme un bon outil pour la formalisation et la mise en œuvre des systèmes complexes artificiels. D’un autre coté, ces systèmes complexes à base de multi-agents apparaissent comme un outil privilégié pour l’étude des systèmes complexes naturels.