Communication par envois de messages

La communication par envoi de messages ou communication directe est restreinte aux rapports agent-agent. Elle suppose un émetteur et un récepteur du message et un formalisme support. L’émetteur doit donc connaître l’adresse de ses récepteurs et, pour cela, peut avoir recours à un annuaire ou à un intermédiaire.

C’est dans ce contexte que se trouve la linguistique (Chomsky, 1968) et la philosophie du langage (Searle, 1980). C’est parce que les différents sens des communications peuvent être traduits en actes mentaux que Chomsky dit que la linguistique fait partie de la psychologie cognitive.

Ferber (2006) souligne que la communication par envois de messages du point de vue des actes de langages, a été la base pour l’élaboration des langages informatiques tels que KQML (« Knowledge Query and Manipulation Language »)et ACL (« Agent Communication Langage »). KQML est né avec l’objectif de faire communiquer toutes sortes d’agents, ce qui fait qu’une architecture commune est impérative pour tout agent. Malheureusement, nous savons que tout standard de communication limite les possibilités d’interactions d’agents appartenant à différentes architectures (Ferber, 1995).

KQML est décomposé en sept catégories (Weiss, 1999) :

‘« 1. Basic query performatives (evaluate, ask-one, ask-all, …)
2. Multiresponse query performatives (stream-in, stream-all, …)
3. Response performatives (reply, sorry, …)
4. Generic informational performatives (tell, achieve, cancel, untell, unachieved, …)
5. Generator performatives (standby, ready, next, rest, …)
6. Capability-definition performatives (advertise, subscribe, monitor, …)
7. Networking performatives (register, unregister, forward, broadcast, …) » (p. 91)’

KQML représente un effort pour développer une méthodologie qui aurait comme but de distribuer l’information entre des systèmes différents et hétérogènes mais pour cela il a besoin d’une « ontologie » unifiée, ou d’un « Knowledge Interchange Format » (KIF), définie comme une syntaxe formelle pour la représentation de connaissances. FIPA ACL est un langage de communication pour les agents de l’organisme de standardisation des SMA.

Dans l’objectif de simplifier les primitives, formats standards d’échange d’information entre systèmes et afin rendre les systèmes plus malléable, i.e., d’augmenter les possibilités d’interaction entre agents hétérogènes hors un cadre de communication déjà établi, plusieurs chercheurs ont pensé à la négociation de symboles afin que tous les agents possèdent la même référence symbole/objet représenté, pas nécessairement a priori, mais a fortiori. Les agents pourraient aussi négocier des syntaxes entières et non uniquement le sens des symboles.

Steels (1998) propose une architecture pour la communication des agents qui ne consiste pas à donner directement le langage aux agents mais si la capacité de le construire. Un collectif d’agents est ainsi capable d’une « ontology creation through discrimination games » . Cette construction ne s’effectue pas uniquement au niveau lexical, mais aussi au niveau syntaxique, par l’émergence d’une grammaire (Steels, 2000a). Or, si les agents sont capables de se mettre d’accord en termes de symboles à utiliser pour représenter les objets du monde et de se construire une grammaire en définissant les règles du système de communication, le langage dans ce contexte se présente comme un système complexe adaptatif, produit des interactions entre agent-agent et agents-environnement. Il se construit également à chaque moment et est très sensible aux modifications de l’environnement, ce qui fait de celui-ci un système adaptatif (Steels, 2000b).

Figure 36. Ces deux diagrammes montrent l'évolution au sein d'un même agent. L’agent linguistique fait des paires forme-sens couvrant le sens de « 
Figure 36. Ces deux diagrammes montrent l'évolution au sein d'un même agent. L’agent linguistique fait des paires forme-sens couvrant le sens de « book » et ses combinaisons par « give » et « take », tenant en compte l’opposition de ces deux mots. Chaque boîte contient le nom de la règle de combinaison (en haut), le sens couvert (à gauche), un score du succès (au centre) et la forme pour exprimer le sens (à droite). Les lignes indiquent quels mots ont été utilisés pour créer les modèles. En tenant compte des multiples niveaux en cours de consolidation, on peut voir après 7000 interactions que le sens de « book » est systématiquement mis en correspondance avec la forme « foraxe ». (Steels et al., 2007, p. 9)

Dans la sémiotique de Peirce (1893-1913) les signes, les objets et les interprètes constituent une relation triadique irréductible. La relation d’un signe S et d’un objet O dépend d’un interprète I, ce qui fait que S est un symbole de O pour I. Dans l’approche systèmes complexes du langage, l’interprète est vu comme un agent situé dans un contexte social et physique. Selon Steels (2000a), cinq principes sont cruciaux pour la compréhension de la dynamique de la structure du langage.

  1. « Reinforcement learning »,
  2. « Self-organization »,
  3. « Selectionism »,
  4. « Co-evolution through structural coupling », et
  5. « Level formation ».

Dans un système auto-organisateur dont la communication entre les éléments de ce système i.e. les agents, est basée sur la négociation de symboles. Les agents possèdent au départ un grand répertoire de symboles qui seront sélectionnés à la suite des interactions entre les agents et l’environnement. Les utilisations de certains symboles seront renforcées tandis que d’autres doivent être inhibées. De cette façon, un code global de communication émerge des interactions locales, sans un contrôle externe ni central.

Selon Loula, Gudwin, El-Hani et Queiroz (2005), le système complexe à base d’agents qui communiquent entre eux et qui partagent le même environnement et les mêmes objets, est vu comme un système sémiotique à base de négociation de symboles. Dans un contexte où les signes sont des « alarmes sonores », les objets des « prédateurs » et les interprètes des « singes fuyant des dangers », le triangle S-I-O suivant est formé.

Figure 37. Communication concernant la triade Signe-Object-Interprète (Loula, Gudwin, El-Hani et Queiroz, 2005)
Figure 37. Communication concernant la triade Signe-Object-Interprète (Loula, Gudwin, El-Hani et Queiroz, 2005)

Stuber, Hassas et Mille (2003) proposent de combiner des SMA et des modèles cognitivistes du RàPC (Raisonnement à Partir de Cas) afin d’assister la réalisation de tâches collectives et réutiliser des expériences bien réussies. Dans la réalisation de ces tâches collectives, des êtres humains peuvent être concernés. Stuber, Hassas et Mille (2005) proposent de négocier des symboles par des jeux de langage entre des agents et des humains, de la même façon que ce qui a été montré entre agents par Steels (2003); Loula, Gudwin et Queiroz (2003) ; Arnellos, Spyrou et Darzentas (2003) ; Arnellos, Spyrou et Darzentas (2006) et autres. Ce projet prévoit l’émergence d’un lexique et d’une grammaire entre les machines, ordinateurs ou robots, et les êtres humains.

Arnellos, Vosinakis, Spyrou et Darzentas (2006), englobent dans le terme « représentation émergente » la structure dynamique individuelle des agents qui rend possible l’émergence d’un lexique et des règles grammaticales, non pas isolément, mais en interaction constante avec un environnement évolutif, avec les objets et les agents en mouvement, etc. Ainsi, « the emergent representational structures » dépendent de la structure de négociation de symboles, des règles et de la création des ses propres catégories par l’agent qui s’appuie sur ses expériences. La représentation émergente individuelle est ici vue comme une coordination entre les structures dynamiques individuelles dans l’architecture des agents et la structure dynamique environnementale.

Ce point de vue extérieur de la représentation (représentation de...), ou sémiotique, n’est pas complètement claire chez Steels (2003) en ce qui concerne le terme « Emergent Representations ». Steels défend que la représentation émergente soit une représentation émergente externe. Pourtant, la représentation émergente est à l’intérieur du système et joue un rôle d’organisatrice de ce système.

‘« Representations are primarily viewed here as organisers of activity rather than abstract models of some aspect of reality. » (Steels, 2003, p. 11)’

Dès que la représentation possède un rôle d’organisatrice du système dont elle fait partie, cette représentation n’est plus exclusivement externe car elle a un rôle de plus que celui de représenter un pattern externe à cette organisation. C’est cette tâche d’organisation interne du système qui caractérise les représentations émergentes internes.

Dans les systèmes complexes adaptatifs, les représentations possèdent une place de grande importance pour le système cognitif : elles jouent un rôle crucial dans l’amélioration de l’organisation du système auto-organisateur.