Pour David E. Aune, l’Apocalypse montre clairement une forme épistolaire en 1, 4-5 et 22, 21, mais aussi précise qu’il s’agit de « lettre » adressée à chacune de sept Églises en 2, 1 – 3, 22 63 . Ce sont des sept Églises d’Asie (Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée). Le caractère particulier d’une lettre en tant que genre littéraire est qu’elle permet de préciser le destinateur, le destinataire et la manière spécifique de la lettre. Dans la plupart des autres genres littéraires, les écrits sont en principe destinés à un lectorat moins défini de sorte que toute personne peut se sentir concernée. De même, les lettres peuvent avoir de l’intérêt et de la valeur pour des lecteurs plus variés et anonymes. Saint Paul comme auteur pouvait même s’attendre à ce que sa lettre soit communiquée à d’autres lecteurs que ses destinataires (cf. Col 4, 16).
R. Bauckham définit l’Apocalypse comme « une lettre circulaire » 64 . Une lettre circulaire ne peut pas être une lettre spécifique qui s’adresse seulement à un groupe de destinataires. Bien que dans l’Apocalypse une lettre circulaire s’adresse à chaque Église particulière d’une manière aussi précise, les sept lettres montrent pour Bauckham que les sept Églises très différentes sont semblables dans le sens où elles ont des problèmes communs. L’Apocalypse ouvre ainsi une lettre par une série de lettres particulières, parce qu’il s’agit de la situation commune de l’être humain de l’ère chrétienne jusqu’à nos jours. De cette manière, Jean montre comment les problèmes spécifiques relèvent du problème général de l’humanité.
Mais pourquoi les lettres sont-elles adressées séparément aux sept Eglises ? La tentative d’explication de R. Bauckham est d’envisager la prophétie d’Apocalypse comme le point final culminant de toute la tradition biblique prophétique qui suggère une pertinence de son œuvre pour tous les destinataires 65 . Ce n’est pas sans rapport avec ce que le nombre indique : sept est le nombre de la totalité ; les lettres sont adressées à sept Eglises qui représentent toutes les Églises. R. Bauckham cherche une solution dans le refrain situé dans chacun des sept lettres : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises » (2, 7.11.17.19 ; 3, 6.13.22). Ainsi, s’adressant à une variété de situations réelles des Églises contemporaines, l’Apocalypse s’adresse à l’ensemble de ses lecteurs.
Il nous semble que l’interprétation de Bauckham ne réponde pas suffisamment aux problèmes complexes : pourquoi ces sept Églises ? et pourquoi celles-ci plutôt que d’autres ? Plusieurs commentateurs ne laissent pas supposer qu’il s’agit d’une rédaction ou d’un cadre de la société asiate 66 . Faut-il considérer seulement que les sept lettres soient rédigées avec le corps du livre ou projetées sur des documents socio-religieux ?
Face à ces problèmes difficiles à résoudre, la proposition de François Martin nous semble être pertinente. Du point de vue sémiotique, il propose de ne pas oublier le fait que les lettressont « le donné de l’œuvre », c’est-à-dire ce qui fait tenir ensemble les parties : « le septénaire des lettres est une totalité partielle ou locale dans l’ensemble de l’Apocalypse, mais une totalité qui se donne comme telle 67 ». Il retient deux parcours principaux des lettres :
1) Les lettres sont écrites à partir de la vision du Fils de l’homme : l’ordre d’écrire et la dictée des lettres sont portés par la voix de celui qui a été vu en « ressemblance de Fils d’homme ». Et dans presque toutes les lettres, le Fils d’homme se présente par un trait qui est repris de la vision : par exemple, « Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles dans sa droite, qui marche au milieu des sept candélabres d’or ». Les sept étoiles prennent leurs positions périphériques autour de la figure centrale du Fils d’homme.
2) « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises ». Ce qui est à entendre n’est pas ce qui est dit précisément ou particulièrement à telle Église qui a reçu sa lettre propre, mais « ce que l’Esprit dit aux Églises », aux Églises au pluriel. De sorte que chaque Église est instaurée destinataire de ce que reçoivent les six autres.
La conclusion de François Martin est la suivante 68 : les lettres ne sont pas écrites pour être lues séparément par des destinataires différents. C’est un ensemble à lire et à recevoir comme tel. Mais il suffirait à Jean d’écrire à sept Églises pour que toutes les Églises soient concernées par ces lettres. Cette réalité esquissée par les traits des Églises sera reprise dans la finale de la nouvelle Jérusalem qu’est l’Église.
David E. AUNE, op. cit., p.lxxii-lxxv. Il y a aussi l’interprétation de l’Apocalypse comme liturgie et mythe que nous ne développons pas ici. Voir E. Schüssler FIORENZA, The Book of Revelation. Justice and Judgment, … p.166-167 ; Raymond E. BROWN, op. cit., p.854-856.
R. BAUCKHAM, op. cit., p.23-26.
Ibid., p.27-28.
Cf. P. PRIGENT, L’Apocalypse de Saint Jean… p.55-58.
François MARTIN, L’APOCALYPSE. Lecture sémiotique, Lyon, Profac-Cadir, 2004, p.73.
Ibid., p.75.