4. LA COMPOSITION ET LA STRUCTURE

4.1. Sources et types traditionnels

L’hypothèse de David E. Aune est la suivante 70  : l’Apocalypse a d’abord existé comme une collection de prophéties indépendantes. Ce sont des fragments qui ont les liens thématiques avec l’ensemble du livre, tel qu’il se présente aujourd’hui : par exemple, 7, 1-17 ; 10, 1-11 ; 11, 1-13 ; 12, 1-17 ; 13, 1-18 ; 14, 1-20 ; 17, 1-20 ; 18, 1-24 ; 19, 11-16 ; 20, 1-10 ; 20, 11-15 ; 21, 9 – 22, 5.

Ces fragments seraient des prophéties de type apocalyptique, directement inspirées du judaïsme et donc non pas marquées dans son premier temps par le christianisme. Il s’agirait d’une compilation des sources d’une part, d’une composition de type traditionnel d’autre part 71 . Ils composent dans son deuxième temps Ap. 4, 1 – 22, 5 comme unité thématique du livre.

C’est plus tard que l’Apocalypse connaît le christianisme dans une deuxième édition. Cette dernière contient l’insertion des lettres précédées d’une introduction (1, 1 – 3, 22), l’adjonction de la conclusion (22, 6-21) et de nombreux ajouts de détails. Ce sont les éléments éditoriaux qui permettent de distinguer l’état primitif et l’état rédactionnel.

Mais tous les phénomènes incohérents peuvent-ils être expliqués à partir de l’hypothèse de textes différents, indépendants et juifs ? D’où vient l’unité linguistique et stylistique de l’Apocalypse qu’on s’accorde à reconnaître ? Soucieux de trouver la structure littéraire du texte qui montre les apparentes incohérences dans l’emploi des temps et les contradictions dans les localisations, Pierre Prigent examine de près et modifie les fragments supposés comme matériaux antérieurs. Limitons-nous à noter quelques éléments de ses conclusions 72  :

- Ap. 7, 1-17 : l’énumération des 12 tribus (vs. 1-8) vient servir la conviction de Jean pour lequel le véritable Israël, c’est l’Église ; le thème majeur du peuple de Dieu (vs. 9-17) est repris comme un commentaire du paragraphe précédent. C’est la médiation sur le peuple de Dieu entre le 6ème et le 7ème sceau.

- Ap. 10, 1 – 11, 14 : la vocation prophétique (Ap. 10) et son accomplissement dans le ministère des 2 témoins/prophètes (Ap. 11) ; l’identification de la grande cité à Sodome, à l’Égypte et à la Jérusalem de la crucifixion, c’est une parfaite incarnation du monde hostile à Dieu, à son œuvre de salut et à ses serviteurs.

- Ap. 12, 1-17 : les images s’enracinent dans l’Ancien Testament ; il s’agit de Pâques ; l’histoire de Michaël et du combat des anges relève du travail de réécriture au noyau du récit qui donne l’unité du chapitre.

- Ap. 13, 1-18 : il faut voir là la troisième appréciation de l’époque présente : Si Ap. 11 représente le temps du témoignage prophétique conduisant au martyre et Ap. 12 éclaire le temps de la lumière éclatante de la victoire pascale, Ap. 13 en dénonce le caractère satanique.

- Ap. 14, 1-20 : l’essentiel est d’accepter que la moisson n’est pas identifiée à la vendange ; ce sont des signes d’unité qui sont liés au contexte du livre : l’agneau debout, les 144.000, la vision du trône, l’annonce du châtiment de Babylone, l’adoration de la bête et de sa marque.

- Ap. 17, 1-20 : le texte juxtapose deux interprétations différentes des 7 têtes de la bête : celle des rois (l’identification de Néron la suppose nécessairement) et celle des collines. Il s’agit du souci de ne pas laisser perdre la pertinence de l’explication.

- Ap. 18, 1-24 : l’analyse distingue les 3 voix (v. 1-3 ; 4-20 ; 21-24). Il s’agit d’un recours délibéré à des prophéties de même type, réunies en une formulation nouvelle.

- Ap. 19, 1-10 : ce n’est pas un ajout destiné à faire une unité, mais la touche johannique ; les hymnes jouent toujours un rôle théologique.

- Ap. 19, 11-16 : le nom du Messie mentionné 4 fois (v.11 : fidèle et véritable ; v.12 : nom secret ; v.13 : parole de Dieu ; v.16 : Roi et Seigneur). Cette insistance indique le thème essentiel du fragment : qui est le guerrier eschatologique ? Par 4 fois la réponse suggère que c’est le Christ assimilé à Dieu lui-même.

- Ap. 20, 1-10 : Prigent supprime comme des ajouts propres à la 2ème édition les allusions au sort des martyrs, au sacerdoce des chrétiens, à la marque de la bête et à la 2ème mort.

- Ap. 20, 11-15 : Prigent supprime le v. 12c (et 15 qui en découle), parce qu’il ressemble à une addition et qu’il est possible qu’un tradition semblable circule dans la mémoire de Jean. Mais ce qui importe est qu’il s’agit là de son interprétation.

- Ap. 21, 9 – 22, 5 : ce fragment serait composé sur le modèle de 17, 1 – 19, 10, afin qu’à la vision de Babylone, la grande prostituée, réponde à celle de la nouvelle Jérusalem, épouse de l’agneau.

Mais, comme le constate Prigent lui-même, ces critères qui permettent de distinguer la forme littéraire primitive très élaborée sont faibles et hypothétiques 73 . Prigent considère finalement qu’il y a là une connivence profonde entre prophétie et poésie. Une telle considération est significative. Malgré tant de tentatives, la question de la composition reste donc ouverte devant nous.

Notes
70.

Reprise dans P. PRIGENT, L’Apocalypse de Saint Jean… p.63.

71.

Voir E. Schüssler FIORENZA, The Book of Revelation. Justice and Judgment, … p.160-164.

72.

P. PRIGENT, L’Apocalypse de Saint Jean… p.64-69.

73.

Cf. P. PRIGENT, L’Apocalypse de Saint Jean, … p.69.