Contrairement à Aune et à Prigent s’attachant aux sources et aux syntaxes traditionnelles, E. Schüssler Fiorenza s’intéresse à l’interrelation entre le contenu et la forme littéraire. D’après elle, l’unité linguistique et stylistique de l’Apocalypse n’est pas simplement le résultat final des rédactions de sorte qu’il faut voir comment le contenu et la forme littéraire (non au sens dans l’acception sémiotique du terme) sont liés comme le sont l’histoire et la tradition 74 .
Pour Fiorenza, l’analyse de la forme littéraire montre en effet la richesse de construction de l’Apocalypse. Les sections d’hymne sont composées pour la plupart sous la forme de prélude (4, 9-11 ; 5, 9-12 ; 7, 10-12 ; 11, 15b.17-18 ; 16, 5b-6.7b ; 19, 1b.2.3.4b ; 19, 5b.6b-8a) 75 . Ces sections d’hymne intègrent certaines formes traditionnelles : « Saint, Saint, Saint » (4, 8c), doxologie (1, 6 ; 4, 9 ; 5, 13b-14 ; 7, 12) ; acclamation (4, 11 ; 5, 9b-10.12), formule de remerciement (11, 17-18) ; doxologie de jugement (16, 5-7) ; exhortation à la joie (12, 12a ; 18, 20) ; oracle (12, 12b) ; hymne d’acclamation (12, 10b-12 ; 15, 3b-4) ; proclamation du Dieu-roi (11, 17 ; 19, 6) ; proclamation du Dieu victorieux (7, 10 ; 12, 10 ; 19, 1).
Il y a les petites sections, mais aussi l’organisation des matériaux complexes de forme et de type : par exemple, chacune des sept lettres est composée de cinq sections. L’introduction associe l’adresse et l’ordre d’écrire. Vient ensuite la formule du message prophétique « ainsi parle » (2, 1.8.12.18 ; 3, 1.7.14) qui est associée à la vision du Christ. La troisième section est introduite par l’expression « je sais » (2, 2.9.13.19 ; 3, 2.8.15) et terminée par l’exhortation. La quatrième section consiste dans l’appel à l’écoute (2, 7.11.17.29 ; 3, 6.13.22) sous la même forme pour toutes les lettres : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises ».
Fiorenza affirme que, même si l’auteur avait employé des sources et des types traditionnels, il les a sans doute adaptées au contexte, de sorte que l’ensemble de l’Apocalypse ne donne pas une impression encyclopédique 76 . Autrement dit, l’Apocalypse emprunte l’Ancien Testament, mais ne le jamais répète. Il s’agit de la « stratégie rhétorique » de l’Apocalypse 77 .
Pour d’autres techniques de composition, Fiorenza note les interludes, les contrastes, les symboles et les images, mais aussi l’usage des nombres et de la structure numérique. Cette dernière se trouve notamment à la composition des 4 septénaires (les 7 lettres, les 7 seaux, les 7 trompettes et les 7 coupes) qui ne sont pas une simple répétition mais qui se développent différemment.
Le plus important, pour Fiorenza, est la méthode d’intercalation 78 . Si la narration se fait en deux unités formelles ou deux épisodes (A et A'), entre ces deux unités ou deux épisodes, c’est une autre scène sous forme d’intercalation, ce qui permet au lecteur de percevoir le texte comme un ensemble. L’introduction du septénaire des trompettes est un exemple d’intercalation : après l’apparition des sept anges avec les sept trompettes en 8, 2 (A), les trois liturgies célestes en 8, 3-5 (B) et les trompettes commencent à sonner en 8, 6 (A'). L’association d’interlude et de méthode d’intercalation accompagne souvent une double intercalation. Par exemple, 10, 1 – 11, 14 est très marqué comme un interlude inscrit dans le septénaire des trompettes (8, 6 – 9, 21 A ; 10, 1 – 11, 14 B ; 11, 15-19 A'). En même temps, il fonctionne comme une introduction à la section suivante.
Pour Fiorenza, la reconnaissance de la méthode d’intercalation aide à comprendre la composition et la structure de l’Apocalypse. Mais elle n’oublie pas de noter la limite de la méthode d’intercalation : cette dernière se sert de la division du texte, mais elle ignore ce qui est plus important, ainsi que la manière dont les éléments différents sont unis par la rédaction 79 .
E. Schüssler FIORENZA, The Book of Revelation. Justice and Judgment, … p.159.
Cf. Ibid., p.164.
I bid., p.170.
Ibid ., p.192.
Ibid., p.172.
Ibid., p.173. L’auteur note également la limite de l’analyse structurale qui part des 6 actants, parce qu’il envisage que ces derniers réduisent la variété des personnages et des actions narratives : « Actants should not be confused with the actors or the manifestations but they are structural elements which have been obtained by reducing an infinite set of variables (the various personages and actions of the narrative) to a limited number of structural elements (actantial roles or spheres of actions) » (Ibid., p.174). Nous n’en ni développerons, ni réagirons, parce que la structuralisme, même si la sémiotique est évoluée à partir d’elle, est loin de notre recherche sémiotique actuelle.