L’interprétation figurative n’est pas encore constituée comme un système herméneutique indépendant de l’allégorie. Si l’Alexandrin est loin de prétendre accéder au sens historique dans le récit biblique, ses adversaires l’en accuseront. Pourtant, l’Alexandrin cherche presque toujours à découvrir par l’allégorie un sens spirituel qui dépasse la lettre. Parfois son interprétation correspond à une explication typologique, dans d’autres cas, en revanche, la figure ne paraît pas entretenir un rapport clair avec la lettre du texte, mais être proposée de façon gratuite 133 .
Dès le début du IVe siècle, les exégètes d’Antioche refuseront l’exégèse allégorique de l’Alexandrin. Par exemple, Jean Chrysostome, sans nier la présence d’allégories dans l’Écriture sainte, en limite sérieusement le champ d’application. Diodore de Tarse, qui fut le maître de Théodore de Mopsueste et de Jean Chrysostome, écrit comme suit : « la divine Ecriture connaît bien le mot d’allégorie, mais ne connaît pas la chose 134 ». La démonstration de Diodore vise à établir que le terme « allégorie » chez Paul n’a pas le sens que veulent lui donner les allégoristes. Presque tous les exégètes d’Antioche travailleront dans le même esprit. L’interprétation spirituelle d’Origène est donc jugée excessive et incomplète. Il est accusé d’avoir transposé dans l’interprétation biblique une manière grecque de penser que l’Écriture se soit réduite à un muthos, à une fable 135 .
En fait, les Pères de l’Église ne sont pas les premiers à avoir proposé une exégèse figurative de la Bible. Comme les autres Pères, Origène est l’héritier de l’exégèse rabbinique et de celle de Philon d’Alexandrie 136 . L’intérêt d’Origène se porte d’abord sur la logique des « réalités spirituelles » ou « intelligibles » de sorte qu’il n’a pas opéré une nette distinction entre l’exégèse figurative et l’allégorie. Cette distinction est faite paradoxalement par les exégètes d’Antioche 137 .
L’explication typologique, selon la définition chez les exégètes d’Antioche, offre un double avantage : conserver et dépasser la dimension historique en rapport avec l’Ancien Testament 138 . S’il en est ainsi, à la différence de l’allégorie, la typologie est rationnelle et scientifique. L’explication typologique exige donc de l’exégète de se soumettre rigoureusement à la lettre du texte et à l’épreuve de l’histoire.
C’est Théodoret qui apporte le changement important 139 . En traitant le corpus prophétique où Théodore voit le personnage de Zorobabel comme une figure du Christ, Théodoret voit en lui une figure de la délivrance spirituelle qui doit s’accomplir avec la venue du Christ 140 . Ainsi, Théodoret refuse l’exégèse vétéro-testamentaire de Théodore qui essaie d’identifier la lettre et la réalité historique.
En somme, l’interprétation figurative était un moyen pour les chrétiens de l’Antiquité chrétienne de s’approprier l’Ancien Testament et de prouver aux Juifs eux-mêmes que ces textes s’accompliront dans les réalités du Nouveau Testament. Il s’agit de découvrir l’unité des deux Testaments et l’existence d’un seul Dieu, Père et Créateur. Comme l’allégorie, la typologique montre aussi qu’il y a un sens caché dans le texte biblique.
Jean Noël GUINOT, art. cit., p.11.
Jean Noël GUINOT, art. cit., p.12 ; DIODORE de Tarse, Prologue du psaume 118, édition et traduction par L. MARIES, RSR 10, 1919, p.79-101.
EUSEBE de Césarée, op. cit., VI, 19, 7, … p.340.
Jean Noël GUINOT, art. cit., p.5.
Art. cit., p.11 et 20.
Art. cit., p.17-18.
Jean Noël GUINOT nous renvoie à la comparaison entre Théodore et Théodoret. Voir art. cit., p.18 ; Commentaire sur les douze prophètes de Théodore, éd. De H.N. Sprenger, Wiesbaden 1977, p.66.
Jean Noël GUINOT, art. cit., p.19 ; « La cristallisation d’un différend : Zorobabel dans l’exégèse de Théodore de Mopsueste et e Théodoret de Cyr », Augustinianum 24, 1984, p.527-547.