Guigues II (+1188) est considéré comme père de la « lectio divina ». Grâce à lui, nous avons la définition systématique de la « lectio divina » dans sa Lettre sur la vie contemplative (ou Echelle des moines). Celui-ci fait partie des manuscrits de la Scala Claustralium dont les sources sont discutées et les rédacteurs érudits reconnaissent à bon droit Guigues II comme seul vrai auteur. Neuvième prieur de la Grande Chartreuse, Guigues II y parle des quatre degrés de l’échelle spirituelle :
‘Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l’exercice spirituel de l’homme, et tout à coup s’offrirent à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels : lecture, méditation, prière, contemplation. C’est l’échelle des moines, qui les élève de la terre au ciel… La lecture est l’étude attentive des Ecritures, faite par un esprit appliqué. La méditation est une opération de l’intelligence, procédant à l’investigation studieuse d’une vérité cachée, à l’aide de la propre raison. La prière est une religieuse application du cœur à Dieu pour éloigner des maux ou obtenir des biens. La contemplation est une certaine élévation en Dieu de l’âme attirée au-dessus d’elle-même et savourant les joies de la douceur éternelle 188 . ’C’est la méthodologie de « lectio divina »qui se construit sur la lecture, la méditation, la prière et la contemplation. L’épistémologie de la lecture n’est pas restreinte à la simple lecture, mais comprend l’itinéraire de la parole dans le lecteur humain. Les quatre degrés sont liés les uns aux autres : « la lecture recherche la douceur de la vie bienheureuse, la méditation la trouve, la prière la demande, la contemplation la goûte 189 ». C’est en effet « une lecture prolongée » dont la démarche renvoie à celle du prophète dans l’Apocalypse :
‘A quoi bon, en effet, occuper le temps par une lecture prolongée, parcourir la vie et les écrits des saints, si ce n’est pour en puiser le suc par la mastication et la rumination, puis pour faire pénétrer ce suc jusqu’au secret du cœur en assimilant cette lecture, afin de considérer avec soin notre état grâce à elle et de nous efforcer d’accomplir les œuvres de ceux dont nous avons désiré recueillir les actions ? 190 ’Dans l’Apocalypse, le livre est à prendre et à dévorer : « Prends, dévore-le » (10, 9). Il s’agit de ressentir les effets d’un passage de l’écriture dans le corps : « Il remplira ton ventre d’amertume, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel… Il te faut de nouveau prophétiser sur des peuples, et des nations, et des langues et des rois en grand nombre. » (Ap. 10, 9-11). Il s’agit de l’incarnation, l’incorporéité de la parole.
Pour Guigues II, l’acte de lecture est plus concret : mastiquer, ruminer, faire pénétrer au cœur, en assimiler ce qu’on lit. Il s’agit de l’accomplissement des œuvres. Dans ce sens, il cite Ap. 3, 20 : « Dieu veut être prié par nous, il veut nous voir ouvrir le secret de notre volonté à la grâce qui survient et frappe à la porte ; il veut pour lui notre consentement 191 ».
L’échelle spirituelle est donc nécessaire pour que la parole s’accomplisse : il faut les quatre degrés et il faut qu’ils soient liés entre eux :
‘Nous pourrons déduire de tout cela que la lecture sans méditation est aride, la méditation sans lecture est sujette à l’erreur, la prière sans méditation est tiède, la méditation sans prière est sans fruit 192 .’Guigues II encourage les moines à qui il offre sa Lettre sur la vie contemplative (ou Echelle des moines) en disant qu’au faîte de l’échelle, il y aura enfin celui qui dit « viens » comme dans Ap. 22, 17 193 .
GUIGUES II Le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative (L’échelle des moines). Douze méditations, (Introduction et texte critique par Edmund COLLEDGE et James WALSH, traduction par un chartreux), Sources chrétiennes 163, Paris, Cerf, 1970, p.84-85.
Ibid., p.86-87.
Ibid.,p.109.
Ibid.,p.111.
Ibid., p.113.
Ibid., p.123.