2.3.3. Bonaventure et le christocentrisme

A l'instar de son contemporain Thomas d’Aquin, Bonaventure (1221-1274) est l'un des piliers de la pensée chrétienne au Moyen Age. Il compare la profondeur de l’Ecriture sainte à celle d’une forêt obscure 220 . Pour Bonaventure, l’Ecriture « ne peut pas ne pas comporter un sens spirituel, puisqu’elle a Dieu pour auteur 221  ». Mais le sens spirituel n’est pas pour lui le sens même qui se dit chez les Spirituels. Devenu, alors qu’il est encore jeune, supérieur général des franciscains, Bonaventure se trouve confronté à la querelle entre les partis Spirituels et Conventuels, c'est-à-dire entre partisans de la pauvreté absolue et partisans d'une évolution de l'ordre. Bonaventure condamne les Spirituels, en particulier les joachimistes.

Bonaventure voit dans l’Apocalypse une prophétie orientée vers la fin des temps 222 . Pour lui, la femme du chapitre 12 est la Vierge au sens littéral, l’Église au sens mystique ; en son état céleste, la femme couronnée des 12 étoiles est l’Église entourée des 12 apôtres qui personnifient les 12 articles de la foi. La femme refugiée au désert signifie les fidèles qui devront fuir au temps du grand combat de l’Église contre l’Antéchrist. La queue du Dragon qui « balayait le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre » (Ap. 12, 4), correspond au moment où le signe de la femme et celui du Dragon sont en opposition. La guerre céleste prophétise la guerre finale contre l’Antéchrist. Les deux ailes données à la femme (Ap. 12, 14) sont encore l’amour de Dieu et du prochain ou les vœux religieux de chasteté et pauvreté.

Le christocentrisme bonaventurien voit dans « l’arbre de vie » de Ap. 22, 2 le Christ, celui qui contient en lui tous les trésors de la sagesse et de la science 223 . Etienne Gilson vient à conclure : ses vues « n’ont rien de commun avec celles de l’abbé de Flore et se tiennent dans le cadre fixé par la tradition ». Pour Joseph Ratzinger, Bonaventure s’appuie également sur l’opposition parallèle des deux âges, deuxième et troisième âges, ainsi que Joachim, mais il s’agit pour Bonaventure au contraire de montrer que le Christ est le véritable centre, le tournant de l’histoire. L’ange de l’Apocalypse par lequel Joachim était fasciné n’est pas, pour Bonaventure, porteur de quelque Evangile nouveau, message ou livre, mais au centre de ses ailes se détache l’image d’un homme crucifié.

Notes
220.

Henri DE LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Ecriture, Seconde partie II, … p.265.

221.

Ibid., p.266.

222.

Pierre PRIGENT, Apocalypse 12. Histoire de l’exégèse, … p.34-35.

223.

Pour le christocentrisme bonaventurien qui suit dans les phrases suivantes, nous consulterons toujours Henri DE LUBAC, La postérité spirituelle de Joachim de Flore, tome I … p.136-139.