3.3.1. Richard Simon et la règle de la critique

Richard Simon (1638-1712), prêtre de l’Oratoire, publia à Paris en 1678 une Histoire critique du Vieux Testament qu’il devait compléter onze ans plus tard par une Histoire critique du Nouveau Testament. Il est entraîné à l’examen des manuscrits et il commence par enquêter sur la langue biblique, la grammaire hébraïque et l’édition des massorètes. Il confronte celle-ci à la Septante et reparcourt l’histoire des versions de l’Ancien Testament antérieures à la révision massorétique ; il passe aussi en revue les traductions modernes du texte en latin. Il s’agit de l’authenticité des auteurs humains et de l’inspiration des Ecritures 256 .

Ainsi, le sens spirituel continue bien à être désigné pour Simon comme l’horizon de la lecture. Simon apprécie aussi la traduction des Pères. Son enquête se tient à l’écart des arguments théologiques, il reste à l’intérieur au cercle de la foi chrétienne. Mais sur ce fond, il donne « un examen attentif des anciens manuscrits selon les règles de la critique 257  », « une exploration minutieuse et exigeante, circonscrite à la lettre d’un livre qui suscite un nombre croissant de questions 258  ».

Jean Steinmann apprécie l’entreprise de R. Simon : « Son importance égale celle d’Erasme de Rotterdam ou de Baruch de Spinoza… Pour la connaissance de la Bible, Bossuet devant lui n’existait pas, ni à plus forte raison Fénelon. De la Renaissance à la fin du XIXe siècle, son génie domine l’exégèse biblique 259  ».

Mais ses contemporains ne l’ont pas reconnu. L’entreprise de R. Simon se heurta immédiatement à une résistance massive. Il fut exclu de l’Oratoire en 1678 : il a été attaqué, non seulement par les savants et critiques de son temps, aussi bien jésuites que jansénistes, aussi bien par Bossuet, Huet, Mabillon que par les protestants orthodoxes, mais par presque tous les auteurs qui ont écrit sur l’Ancien Testament à la fin du XVIIe siècle et dans la 1ère moitié du XVIIIe siècle. La condamnation par Rome de la plupart des écrits de R. Simon justifie amplement le zèle de Bossuet.

À propos de l’authenticité du Nouveau Testament, Simon rapporte les arguments suivants :

‘Cette diversité de style fait conclure à Denys, évêque d’Alexandrie, que l’Apocalypse n’est point de l’apôtre saint Jean et il dit en même temps qu’il est incertain qui a été ce Jean, lequel ne s’est pas assez distingué des autres qui ont porté le même nom. Il prouve néanmoins qu’il n’y a nulle apparence que ce soit Jean surnommé Marc, dont il est parlé dans les Actes des Apôtres et qui a été compagnon des voyages de saint Barnabé et de saint Paul, parce qu’il ne les suivit point en Asie. C’est pourquoi il juge que ç’a été un de ceux qui ont vécu à Ephèse, où il y eu deux sépulcres de ce nom. Il a recours à la différence de style, d’où il prétend prouver que l’apôtre saint Jean qui a écrit l’Evangile et une Epître ne peut être l’auteur de l’Apocalypse. On trouve selon lui les mêmes choses et les mêmes expressions dans les deux premiers livres ; l’Apocalypse au contraire en est entièrement éloignée 260 .’

D’après Simon, la prophétie a deux sens : celui du texte et celui qu’elle a pris dans la tradition 261 . Il fait l’application de ce principe important aux livres prophétiques. Les premiers Chrétiens parlaient grec et la version des Septante était une œuvre purement juive et antérieure à l’ère chrétienne. Autrement dit, l’exégèse dite « spirituelle » était une méthode juive.

Il en résulte pour Simon qu’il faut lire en Juif dans le Nouveau Testament. Simon s’attache au sens « spirituel » à partir duquel il voit la foi chrétienne. Non qu’il croie qu’en elle-même l’exégèse « spirituelle » prouve quelque chose, mais elle a servi de véhicule à la foi traditionnelle 262 . En « bon Augustinien 263  », Simon en revient donc à la confirmation de l’existence d’une grâce inconnue des Pères.

Notes
256.

Cf. Anne-Marie PELLETIER, D’âge en âge les Ecritures. La Bible et l’herméneutique contemporaine, le livre et le rouleau 18, Bruxelles, Edition Lessiux, 2004, p.12.

257.

Jean STEINMANN, Richard Simon et les origines de l’exégèse biblique, Paris, Esclée de Brouwer, 1959, p.258.

258.

Anne-Marie PELLETIER, op. cit., p.13.

259.

Jean STEINMANN, op. cit., p.7.

260.

Nous reprenons Jean STEINMANN, op. cit., p.263.

261.

Jean STEINMANN, op. cit., p.265.

262.

Ibid., p.264.

263.

Ibid., p.294.