4.2. La tradition mariologique

En dehors du renouveau biblique, nous ne passons pas sans parler de l’exégèse mariologique. Parce que, comme dans toute l’histoire, la tradition de l’exégèse mariologique continue à survivre. Dans cette tradition, l’exégèse devient plus ou moins uniforme et on y trouve un consensus établi pour interpréter Ap. 12 en lien avec la naissance de Jésus, fils de la Jérusalem céleste, son ascension, et la persécution du diable contre les chrétiens 291 .

Il s’agit de la typologie de l’Ancien Testament : les douleurs de la femme et Gn. 3, la fuite de la femme au désert et l’Exode, etc. C’est l’interprétation mariale et ecclésiastique, car la femme est interprétée comme la Jérusalem céleste de l’Ancien Testament dont l’héritière est Marie ou l’Eglise. Prigent critique qu’« il s’agit très souvent plutôt de positions sentimentales (voire ecclésiastiques) que d’exégèse raisonnée 292  ».

À l’occasion du cinquantenaire de la définition de l’Immaculée conception (2 février 1904), l’Église catholique promulgue par Pie X une explication mariale de l’Ap. 12. Voici le texte :

‘Un grand signe – c’est en ces termes que l’apôtre St. Jean décrit une vision qui lui fut montrée par Dieu – un grand signe apparut dans le ciel une femme revêtue du soleil, ayant sous ses pieds la lune et autour de sa tête une couronne de 12 étoiles. Or nul n’ignore que cette femme représentait la Vierge Marie qui engendra virginalement notre chef. L’apôtre poursuit : Ayant un fruit en son sein, l’enfantement lui arrachait de grands cris et lui causait de cruelles douleurs. St. Jean vit donc la très sainte mère de Dieu jouissant de l’éternelle béatitude et toutefois en travail d’un mystérieux enfantement. De quel enfantement ? Du nôtre assurément : retenons encore que nous sommes dans cet exil, nous avons besoin d’être engendrés au parfait amour de Dieu et à l’éternelle félicité 293 . ’

L’autorité de l’Église catholique inclut le passage de Ap. 12 dans la liturgie pour la fête de l’Immaculée conception (6ème réponse de matins et capitule de none) et pour la fête de Notre Dame de Lourdes (11 février).

On lit, d’autre part, cette phrase dans le décret par lequel Pie XII a promulgué, en 1950, la définition du dogme de l’Assomption :

‘Les Docteurs scolastiques, non seulement dans les diverses figures de l’Ancien Testament, mais aussi dans cette Femme revêtue du soleil que contempla l’apôtre Jean dans l’île de Patmos, ont vu l’indication de l’Assomption de la Vierge Mère de Dieu 294 .’

Au rite catholique romain, le texte tiré de Ap. 12, 1 est repris depuis 1951 dans la messe de l’Assomption ; et la première strophe de l’hymne de Laudes en était la paraphrase. À partir de 1969, date à laquelle le nouveau lectionnaire a été publié, la première lecture de la messe a été formée par le passage 11, 9a ; 12, 1.3-6.10ab.

Bien que le pape ne prétende pas que le dogme de l’Assomption est attesté par Ap. 12,« il s’est trouvé cependant jusqu’à une époque récente des théologiens catholiques pour croire que le chapitre en cause leur fournissait la preuve que le dogme de l’Assomption était mentionné par l’Écriture 295  ». Mais en dehors des traditions catholique romaine ou anglicane, on ne reconnaît pas en la femme vêtue du soleil la Vierge Marie ; on voit en elle un symbole du peuple de Dieu, soit l’Israël de l’Ancien Testament, soit les deux 296 .

Du point de vue épistémologique, ces interprétations mariales obéissent aux données traditionnelles de la foi. Dans la correspondance entre la figure de la femme de Ap. et la configuration des figures mariales, la figure n’est pas une adresse pour le travail de la lecture, mais l’illustration d’un thème que les commentateurs décoderaient au nom d’une conceptualisation préalable. Ils ont ainsi échappé de distinguer les « pratiques interprétatives » de l’exégèse et celles de la liturgie ou de la vie spirituelle.

Notes
291.

P. PRIGENT, Apocalypse 12. Histoire de l’exégèse, … p.136-140. Parmi les commentateurs, l’auteur signale Lusseau, Collomb, A. Schlatter, J. Sickenberger, A. Wikenhauser, Joh. Behm, J. Bonsirven, M. Kiddle, M.K. Ross, Ch. Brütsch, L. Cerfaux, J. Cambier, R.M. de la Broise, Genty de Bonqueval, Léop. Fonck, A. Rivera, J.F. Bonnefoy, Adrienne von Speyer, Hugo Rahner, J.J. Weber, Paul Claudel, B.J. Lefrois et F.M. Braun.

292.

P. PRIGENT, Apocalypse 12. Histoire de l’exégèse, … p.138.

293.

Nous reprenons P. PRIGENT, ibid., p.139.

294.

AAS 42, 1950, p.763.

295.

John McHUGH, La mère de Jésus dans le Nouveau Testament, traduit de l’anglais par Jacques Winandy, Paris, Les Éditions du Cerf, 1977, 446. L’auteur nous renvoie à M. JUGIE, La mort et l’assomption de la sainte Vierge. Étude historico-doctrinale (Studi e Testi, 114), Cité du Vatican, 1944, p.33-40 ; « Assomption de la sainte Vierge », Maria : Études sur la sainte Vierge (éd. H. du Manoir), I, Paris, 1949, p.627-630 ; « Le dogme de l’Assomption et le chapitre XII de l’Apocalypse », (In Constitutionem Apostolicam « Munificentissimus Deus » Commentarii 5), Marianum, 14, 1952, p.74-80.

296.

John McHUGH, ibid., p.446.