4.3.2. La critique narrative et la narratologie

À côté de la recherche de la source, il existe aussi des remarques et des discussions pour l’unité littéraire de l’Apocalypse 301 . Il faut justement distinguer l’unité littéraire présupposée par la critique narrative et l’unité narrative proposée par la narratologie 302 .

Pour Aune, il n’y a peu ou point de continuité du drame qui apparaît dans les épisodes narratifs du texte, mais l’unité littéraire de l’Apocalypse pour laquelle l’auteur aurait travaillé avec vigilance. Aune affirme qu’il faut donc traiter à la fois de l’unité et de la multiplicité pour comprendre la structure littéraire de l’Apocalypse.

Parmi les exégètes qui partagent la même position, Aune cite S. D. Moore et L. L. Thompson 303 . Ce dernier travaille sur l’Apocalypse non seulement comme ensemble cohérent, mais aussi comme texte lié aux contextes social, politique, psychologique, historique, littéraire et religieux. Quand il parle de l’unité linguistique ou de l’unité du langage de l’Apocalypse, il ne se réfère pas au langage et au style de l’Apocalypse, mais il s’attache à l’unité narrative et à l’unité métaphorique à partir de l’usage littéraire du langage.

Mais, sur le principe, la narratologie n’est pas éloignée de la critique narrative, parce que la narratologie n’oublie jamais le point de vue de l’auteur. De ce point de vue épistémologique, nous osons dire que la critique narrative et la narratologie ne sont pas très différentes à la recherche de la source dans le traitement du texte. C’est pourquoi, la diversité des interprétations est définie chez Daniel Marguerat comme « l’état de crise de l’exégèse 304  ».

Dans sa position narratologique, Marguerat pose plutôt le problème de la cristallisation sur le sens originaire : d’après lui, l’analyse historico-critique ne cherche pas le sens actuel, mais elle resitue le sens historique du texte 305 . C’est par là qu’il s’interroge sur l’adéquation de l’exégèse à la « finalité » de l’Écriture. Pour lui, l’exégèse historico-critique saisit le texte comme un document historique référentiel, comme la trace littéraire d’une histoire vécue ; elle se donne les moyens de comprendre le texte à partir de l’histoire.

Marguerat souligne seulement que l’impropriété de l’exégèse historico-critique se trouve dans la manière de comprendre la narration spécifique du texte biblique. Pour lui, l’histoire des hommes et l’histoire de Dieu se trouvent irrémédiablement mêlées dans la narration du texte biblique, à tel point que l’une ne peut plus être dite sans l’autre 306 . À partir d’une telle conviction, Marguerat affirme :

‘Car le texte demande à être non seulement expliqué, mais interprété ; non seulement lu, mais compris 307 . ’

Mais comment comprendre ? Ce « comprendre » est pour nous problématique. Il s’agit d’une épistémologie de la lecture. Pour l’orientation vers la lecture, Marguerat reconnaît l’apport des sciences du langage et spécialement de « la lecture structurale » 308 . Mais, c’est tout. Il choisit l’alternative épistémologique entre la science et l’histoire :

‘Assurément, l’exégèse n’est pas en mesure d’actualiser cette vérité et d’en offrir l’appropriation au lecteur : mais en décrivant comment le texte a construit sa vérité dans l’histoire, l’exégèse nous déplace vers un lieu où l’historique, parce qu’il est le lieu où Dieu est intervenu, nous ouvre au théologique 309 .’

En somme, la narratologie de Marguerat partage avec la méthode historico-critique dans son épistémologie et emprunte partiellement à la sémiotique pour ses moyens méthodologiques. Sa réflexion épistémologique reste ici au niveau de la communication. Elle ne s’intéresse pas à l’acte de lecture dans laquelle le niveau de la communication ne fonctionne que pour le monde référentiel. Nous nous contenterons ici de noter qu’il y a la différence entre la critique narrative, et la narratologie dont nous parlerons dans le chapitre suivant.

Notes
301.

L’unité linguistique et structurale de l’Apocalypse est soulignée par H. E. Werber (Zum Verständsis der Offenbarung Johannis, 1922), F. D. Mazzaferri (The Genre of the Book of Revelation from a Source-Critical Perspective, 1989) et R. Bauckham (The Climax of Prophecy : Studies on the Book of Revelation, 1993).

302.

David E. AUNE, ibid., p.cvii-cviii.

303.

David E. AUNE, ibid., p.cviii qui cite S. D. MOORE, « Are the Gospels Unified Narratives ? », 1987 SBL Seminar Papers, éd. K. H. RICHARDS. Atlanta : Scholars, 1987, 443-58 ; L. L. THOMPSON, The Book of Revelation : Apocalypse and Empire, New York : Oxford UP, 1990.

304.

Daniel MARGUERAT, art. cit., p.155.

305.

Nous reprenons Daniel MARGUERAT, art. cit., p.153 qui cite Walter WINK, The Bible in Human Transformation. Toward a New Paradigm for Biblical Study, Philadelphia, 1973.

306.

Nous reprenons Daniel MARGUERAT, art. cit., p.156 qui cite CH. SENFT, « Vérité historique, vérité révélée », RThPh 97, 1964, 139.

307.

Daniel MARGUERAT, art. cit., p.157.

308.

Ibid., p.158.

309.

Ibid., p.159.