L’Apocalypse est un texte qui apporte une abondance d’interprétations dans l’histoire : typologies (millénariste, mariologique), théorie des figures, théorie du signe, spiritualisme, argumentation, parallèle aux mythes, critique littéraire, narrative, sémiotique, etc.Si une bonne partie de ces épistémologies d’interprétation ou de lecture est dominée par le souci du sens littéral et historique du texte à partir de la recherche de la source, la critique littéraire revendique l’unité du livre à partir de sa composition littéraire et de la continuité de ses thèmes. Nous avons remarqué les progrès réalisés grâce à toutes ces recherches.
Or, l’analyse « sémiotique » va plus loin. Il s’agit de construire la cohérence du livre à partir de ses structures immanentes. L’analyse « sémiotique discursive » va encore plus loin. Il s’agit de construire la cohérence du discours à partir des parcours figuratif et énonciatif. La sémiotique tend à modifier l’attitude à l’égard des textes, en faisant passer « d’une étude des textes dans l’histoire (dans la diachronie) à leur considération simultanée (dans la synchronie), des conditions externes de la signification à ses conditions inhérentes au langage, de l’examen des phrases et de leurs liaisons grammaticales et stylistiques à la recherche d’une organisation du discours sous-jacente aux phrases 318 ».
Comprendre l’œuvre littéraire ne peut être réduit à répéter les sens ou paraphraser en se rattachant à son auteur. Il faut interroger la lecture à partir de l’interaction entre le texte et le lecteur. Il s’agit de comprendre l’œuvre dans un système d’attentes psychologiques, culturelles et historiques de la part du récepteur (horizon d’attente).
Rapporté au statut sémiotique, un texte devient alors discursivement interprétable et assure l’instauration de la totalité signifiante d’un discours. C’est la mise en discours. Pour le lecteur, on l’appellera la « signifiance », état du sens, fondement de la perception comme elle l’est de la langue 319 . Les objets du monde sont alors perçus par un corps que la signifiance a marqué et inscrit sous son ordre. De sorte que toutes les formes du monde sont en mesure d’être ressaisies, transformés en figures discursives et qu’elles avivent dans le corps la faculté énonciative. Ce qu’on appelle « figural » est cette dimension propre entre langue et perception qui sont instituées pour un corps par l’ordre de la signifiance.
C’est à partir de cette remarque que nous allons choisir la sémiotique pour aborder l’Apocalypse. Il s’agit pour nous de proposer une visée interprétative en direction du dévoilement du sujet humain inscrit dans le réel et suscité par la parole de Dieu. Cette pratique de la lecture sémiotique va nous orienter vers un projet anthropologique.
Jean DELORME, « Incidences des sciences du langage sur l’exégèse et la théologie », Initiation à la pratique de la théologie … p.299.
François MARTIN, « Devenir des figures, ou Des figures au corps », Le Devenir (éd. J. Fontanille), Limoges, PULIM, 1995, p.140 ; repris dans Sémiotique et Bible, n°100, mars 2001.