1.1. La problématique du Canon

Du point de vue étymologique et historique, la définition de « canon » est la suivante :

‘le mot canon vient du grec kanôn, lui-même emprunté à l’hébreu qânêh, dont le sens premier est, en hébreu comme en grec, roseau, tige de roseau, jonc, d’où baguette, règle, norme. En ce dernier sens, le mot canon n’apparaît qu’au IVe siècle de notre ère pour désigner, en milieu chrétien, la liste des livres faisant partie des Écritures saintes. Pour l’Église catholique, le canon des Écritures a été solennellement défini en 1546 par le concile de Trente, qui confirmait ainsi le même canon déjà proclamé aux conciles locaux d’Hippone en 393 et de Carthage en 397 et en 419, puis dans la lettre du pape Innocent I à l’évêque Exupère de Toulouse en 405, ainsi qu’au concile œcuménique de Florence en 1442 321 .’

La fixation du Canon biblique n’est donc pas une décision ponctuelle, mais elle a été progressivement développée à l’époque des origines chrétiennes (IIe –VIe siècles). Par exemple, Origène et Cyrille de Jérusalem n’incluent pas l’Apocalypse dans leurs listes canoniques, pas plus que le concile de Laodicée en 360 et Grégoire de Nazianze l’omet encore 322 .

Certes connue dès le début du christianisme, l’Apocalypse est souvent absente jusqu’au moment où le Concile de Trente a définitivement fixé en 1546 le contenu du canon biblique de l’Église catholique. Même si sa canonicité était mise en doute, l’Apocalypse était l’un des premiers à être objet de commentaires 323 .

La Bible est accompagnée des élaborations dogmatiques, liturgiques ou disciplinaires de l’âge patristique. Il en ressort une conception renouvelée du rapport entre l’Écriture et la Tradition : si l’Écriture engendre la Tradition, la Tradition canonise l’Écriture. Dans ce rapport réciproque Écriture-Tradition, la notion de Canon biblique ne désigne pas seulement l’état formel du corpus délimité et clos par l’effet d’une décision institutionnelle. Elle évoque la fonction normative exercée par lesdites Écritures à l’égard de l’ensemble de la vie humaine.

D’où l’interrelation des deux Testaments et son élaboration théorique à travers la notion d’accomplissement qui est présente dans l’énoncé de Jésus : « je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir » (Mt 5, 17). Selon son interprétation, la loi du talion – « œil pour œil et dent pour dent » (Ex 21, 24) – n’est pas la vengeance, mais une disposition de droit dont le but est de faire échec à la vengeance. Il pose un obstacle : celui à qui un autre homme a cassé une dent est porté par son instinct à lui en casser plus d’une, de même pour l’œil et ainsi pour le reste 324 . Dans les mots « œil pour œil et dent pour dent », tout s’exprime au niveau de l’image de l’Autre 325 .

Si le mot « canon » désigne d’abord le contenant, c’est-à-dire la forme même du livre dans les limites et principes d’organisation fixés à l’époque ancienne, la fonction normative reconnue au « Canon » concerne le livre dans sa réalité concrète. À cet égard, la canonicité se caractérise par une réflexivité : les sources se référant à elles-mêmes déterminent l’horizon d’attente des destinataires.

Cette fonction renvoie à la fois à la source et à son effet ainsi qu’au rapport d’une praxis de canonicité. Le Canon biblique peut être donc tenu pour un lieu herméneutique et éthique. L’ensemble des textes bibliques tenus comme livre inspiré et inspirant constitue dès lors la règle de la foi. L’extension du Canon change la foi : le Nouveau Testament n’appartient pas au canon de la Bible juive, et même pour les confessions chrétiennes, la liste des livres du Canon n’est pas entièrement la même. Le Canon biblique présente une extrême diversité littéraire et théologique. Il est constitué par la collation d’une multitude de textes dont l’exégèse historico-critique a classifié les innombrables variantes textuelles et rédactionnelles, les genres littéraires. Il n’est pas facile de reconnaître l’unité inhérente à la fonction normative. À partir de la problématique du « Canon dans le canon », on peut distinguer et articuler à la fois le sens actif du « Canon » (la fonction paradigmatique) et l’acception passive du « canon » (liste établie des textes bibliques constituant le corpus) 326 .

Notes
321.

Jean-Noël ALETTI, Maurice GILBERT, Jean-Louis SKA, Sylvie de VULPILLIERES, Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique. Les mots, les approches, les auteurs, Paris, Cerf, 2005, p.19.

322.

Maurice GILBERT, « Textes exclus, textes inclus : les enjeux », L’autorité de l’Écriture (dir. Jean-Michel POFFET) … p.60-61.

323.

Selon le critère de canonicité comme sacré, le Cantique des cantiques, le Qohelet, l’Esther étaient contestés. Voir Yves-Marie BLANCHARD, « Naissance du Nouveau Testament et Canon biblique », L’autorité de l’Écriture (dir. Jean-Michel POFFET) … p.33-40.

324.

Cf. Paul BEAUCHAMP, D’une montagne à l’autre. La Loi de Dieu, Paris, Seuil, 1999, p.136.

325.

Ibid., p.166-167.

326.

Yves-Marie BLANCHARD, « Naissance du Nouveau Testament et Canon biblique », L’autorité de l’Écritures … p.48.