Il existe cependant une distinction entre « la lecture savante » et « la lecture confessante » : la première, retenue par la technicité de ses outils, la seconde, souvent pratiquée dans l’Église catholique 329 . Comme le dit F. Martin, la situation actuelle est « que, après tant de résistances, l’Église catholique a accueilli en elle l’exégèse scientifique, c’est le monde savant et critique qui, au sein de cette même Église et à l’extérieur de celle-ci, a beaucoup de peine à relever avec intérêt les questions que déploient les formes de lecture transmises par la tradition 330 ».
C’est l’Encyclique Divino afflante Spiritu, promulguée par le pape Pie XII en 1943, qui marque pour la première fois le point de vue critique dans la pratique de lecture. La Constitution dogmatique sur la Révélation Dei Verbum, promulguée en 1965 par le Concile Vatican II, rappelle alors l’importance scripturaire et ouvre les études bibliques à la critique moderne. Enfin, le document publié en 1993 par la Commission biblique pontificale sur l’Interprétation de la Bible dans l’Église légitime la diversité des méthodes et des approches : le Magistère souligne cependant que l’interprétation de la Bible est faite dans l’Eglise, c’est-à-dire dans la tradition. Autrement dit, il y a à la fois l’ouverture et la limite.
Il nous convient ici de noter les éléments du dispositif de lecture traditionnel qui posent la question sémiotique 331 :
1) L’existence et la nature de Dieu : Dieu de toutes les nations, Créateur du ciel et de la terre, il est le Dieu qui parle et l’auteur des Écritures. Le Concile Vatican II ajoute que des hommes sont auteurs des Écritures ainsi que Dieu (Dei Verbum, 11-12) 332 . Autrement dit, l’Écriture est vraiment divine et vraiment humaine.
2) La forme des Écritures est interne : l’Ancien Testament et le Nouveau Testament sont liés étroitement. Le rapport des deux Testaments s’affiche le mieux dans la figure de l’accomplissement 333 . Il y a les jeux de renvoi par là d’une écriture à une autre qui affirment la cohérence des textes bibliques. Il s’agit de la clôture canonique dans laquelle nous avons affaire à un discours unifié et à un processus de signification achevé, donc désormais interprétable.
3) Toute l’écriture biblique parle alors du Christ qui est le « trésor caché dans les écritures 334 ». Il s’agit donc d’une vérité dans deux écritures. Mais aucun des deux corpus ne s’écrit dans le temps de la présence : si l’Ancien Testament a été écrit avant la naissance de Jésus de Nazareth, le Nouveau Testament n’a commencé à être rédigé qu’après la mort et la résurrection du Christ. L’écriture biblique n’est pas le réel. Elle n’est pas le corps vivant, elle l’atteste seulement. D’où la nécessité de lire le texte dans son parcours figuratif. Lire la Bible, c’est donc relever les effets signifiants du parcours qui se déroule des figures au corps.
Nous pouvons les résumer dans les notions suivantes : l’auteur double (divin et humain), la figure et le corps. Autrement dit, la lecture biblique ne se situe pas dans la transmission d’un message, elle présuppose au contraire la pratique d’une stratégie de cohérence discursive.
François MARTIN, « La lecture aux prises avec la lettre, la figure et la Chose », Mythe et philosophie. Les traditions bibliques, (dir. Christian BERNER et Jean-Jacques WUNENBERGER), Ouvrage publié avec le concours de l’Université de Bourgogne, Paris, PUF, 2002, p.70. Mais nous ne partageons pas toute sa catégorisation de « la lecture savante » et « la lecture confessante » : par exemple, l’auteur considère « la lectio divina » comme « la lecture confessante » ; nous ne sommes pas d’accord. Nous en avons remarqué plus haut qu’elle contenait aussi des éléments scientifiques.
Ibid., p.70.
Nous nous appuyons sur les cinq éléments du dispositif par François MARTIN, art. cit., p.71-77, et nous en retenons trois.
Avec les deux prépositions, « par eux » et « en eux », Dei Verbum donne à la fois le concept d’instrumentalité et d’intériorité de l’auteur humain de la Bible. L’homme est celui qui rédige la Bible comme les autres auteurs généraux dans la culture humaine et la liberté, tandis que Dieu opère intérieurement dans les Ecritures comme dans Moïse, Jérémie ou Paul. Il n’est pas possible de séparer les deux rôles, les deux présences dans la Bible. Tout est de Dieu et tout est de l’homme. Voir Paul BEAUCHAMP, Parler d’Ecritures saintes, Paris, Seuil, 1987, p.18-19.
Pour l’accomplissement des figures bibliques, voir Paul BEAUCHAMP, L’un et l’autre Testament, tomes 1 (1976)/ 2 (1990), Paris, Seuil ; Le récit, la lettre et le corps (19821), Paris, Cerf, 1992.
Nous reprenons la citation de Louis PANIER, « Devenir des figures. Figures en devenir. La théorie des figures dans l’exégèse biblique ancienne », Le Devenir. Actes du colloque « Linguistique et Sémiotique III » tenu à l’université de Limoges les 2-3-4 décembre 1993, (éd. J. FONTANILLE), Pulim, 1995, p.149 ; « La théorie des figures dans l’exégèse biblique ancienne. Résonances sémiotique », Récits et figures dans la Bible. Colloque d’Urbino, (éd. L. PANIER), Lyon, Profac-CADIR, 1999, p.236 ; tout cela renvoie à IRÉNÉE de Lyon, Contre les hérésies, IV, 26, 1.