3.2. La sémiotique et la théologie

La lecture sémiotique de la Bible concerne la théologie, parce qu’il s’agit de la Bible et que la manière de lire et d’interpréter a de l’importance pour la réflexion théologique. Si nous parlons de la lecture sémiotique comme pratique, elle ne sert pas simplement à la répétition du donné de la foi, mais elle est au service du travail d’interprétation et du sujet croyant. S’il en est ainsi, la lecture sémiotique a sa place au point même où s’articulent écriture biblique et théologie.

Notons deux points d’incidence de la sémiotique et de la théologie 364  :

1) La lecture sémiotique est une pratique d’interprétation et elle engage un lecteur comme sujet, elle prend sa place au point où s’articulent l’Écriture et la théologie. La lecture sémiotique devient un lieu théologique et un exercice du sujet croyant.

2) La pratique de la lecture sémiotique permet de poser la question du sujet. La lecture est posée comme sujet d’énonciation à partir d’un acte d’interprétation. L’interprète découvre qu’il s’agit de lui comme sujet dans le texte qu’il lit. La théologie est engagée par la question du sujet, et par la façon dont celle-ci est articulée dans le discours biblique. Les textes bibliques ne font pas seulement référence aux événements d’une histoire dont la théologie actualiserait le sens et la mémoire, ils font référence au sujet humain. La théologie doit répondre à ce qui est dit du sujet humain dans les textes.

Or, la pratique de la lecture nous oblige à affronter la résistance du texte, parce que le texte comporte à la fois des éléments continus et des éléments discontinus si bien qu’il produit « des pierres d’achoppement et des interruptions dans la signification du récit 365 ». Comme le dit R. Barthes, tout est lisible ou illisible 366 . Face à un texte opaque, nous rencontrons la difficulté à trouver une manière pertinente de la lecture.

C’est pourquoi, la lecture bibilique « suit facilement des chemins tracés d’avance et le texte risque de rester prisonnier dans le reliquaire des interprétations reçues 367  ». Par exemple, l’image d’un Dieu dans le récit de la tour de Babel provient d’une appréciation négative de la multiplicité des langues. Pour Delorme, « cette appréciation ne correspond pas à l’organisation des valeurs du texte, où la confusion des langues prévient plutôt les conséquences catastrophiques d’une unité où tous diraient et feraient la même chose 368  ».

Il faut prendre le temps d’entrer dans l’articulation des signifiants qui n’est jamais évidente. C’est le temps de la résistance qui coupe la parole. La perte ou la rupture sont nécessaires pour que l’Écriture construise un espace disponible à l’écoute de la parole. La sémiotique tend vers une lecture à qui les articulations internes de l’ensemble ont de l’importance. Né d’une foi chrétienne, le texte biblique naît de l’événement de la rencontre de Dieu et de l’être humain. Il n’est plus uniquement une connaissance ou un savoir transmis dans un lieu de réception principal et intellectuel. Le texte biblique est là non comme document de la foi, mais comme « monument de la parole », « œuvre de signification ». C’est la pratique de la foi, de la réponse à la parole de Dieu.

La pratique de la lecture sémiotique met en lumière cette dimension. Dans l’acte de lecture lui-même, le lecteur trouve à entendre ce qui est dit de lui-même comme sujet humain. En devenant pratique de l’écoute, la lecture ouvre ainsi à la question du sujet ; elle surprend le lecteur qui abordait le texte avec le désir de savoir, ou de confirmer son savoir, et le conduit vers l’horizon d’attente 369 .

Si la lecture est une pratique où le sujet interprète découvre et entend ce qui est dit de lui, en deçà des représentations, elle doit être un lieu théologique privilégié. C’est une lecture anthropologique de la Bible qui est la structure de l’humain instauré comme sujet par la parole de Dieu.

Notes
364.

Louis PANIER, « Lecture sémiotique et projet théologique. Incidences et interrogations », RSR 78/2, 1990, p.199-220.

365.

ORIGÈNE, Traité des Principes (Peri Arhôn), IV, 2, 9, (trad. M. Harl) … p.224.

366.

Roland BARTHES, Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p.39.

367.

Jean DELORME, « Incidences des sciences du langage sur l’exégèse et la théologie » p.307.

368.

Ibid., p.307.

369.

Louis PANIER, « Lecture sémiotique et projet théologique. Incidences et interrogations » … p.215-216.