Finalement la Femme enfante. En même temps que son enfantement, le texte mentionne ce qu’est cet enfant-né (un enfant mâle) et son avenir : il est celui qui doit faire paître les nations avec un sceptre de fer 399 .
L’enfant est un fils au masculin, un mâle au neutre : il est né comme unique. Cet enfant se présente par sa naissance et par son enlèvement vers Dieu et vers son trône. Son parcours spatial est ainsi significativement vertical : en même temps qu’il est né, l’enfant est enlevé vers Dieu et vers son trône.
Une opération vient transformer le dispositif initial : l’enfant doit faire-paître avec un sceptre de fer 400 . Il est d’abord dans l’ordre du pasteur, avec cette spécificité qu’il utilise un sceptre de fer pour faire paître, mais il est destiné à devenir roi pour toutes les nations. Le devoir est ici autant temporel que modal, il s’agit d’une prévision. Discursivement, cette opération organise une temporalité spécifique dans le texte : le temps présent vs le temps à venir.
Si nous observons la structure narrative du récit, le parcours de la royauté est lié au parcours de la naissance : la figure de l’enfant passe de la naissance à la royauté. Il faut cependant signaler que le programme de la royauté n’est jamais effectué dans l’Apocalypse, cela reste donc narrativement virtuel, mais sans doute important au plan figuratif et sémantique : ce qui doit définir cet acteur.
Pour la finalité de l’enfant, le récit articule en effet les deux parcours figuratifs, celui du pasteur et celui du roi : l’opération du pasteur est délimitée par la royauté et la royauté sera acquise par une compétence pastorale avec le sceptre de fer. Son outil de pasteur est l’insigne de la royauté. Discursivement, cette royauté est corrélative avec la figure du trône de Dieu. L’enfant-né va disparaître dans la scène, mais il a ainsi un rôle de la médiation entre Dieu et toutes les nations. Autrement dit, l’enfant annule l’écart entre Dieu et l’humanité.
Cette figure de l’enfant nous renvoie à la figure du vainqueur dans les lettres envoyées aux Églises : « Le vainqueur, celui qui garde jusqu’à la fin mes œuvres, je lui donnerai pouvoir sur les nations, et il les mènera paître avec un sceptre de fer » (2, 26) ; « Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi aussi j’ai remporté la victoire et suis allé siéger avec mon Père sur son trône » (3, 21). Au lieu de développer le parcours du vainqueur, nous nous contenterons pour le moment de repérer qu’il s’agit de la victoire dont nous parlerons plus tard.
Revenons au parcours de la naissance. En effet, ce programme partage jusqu’à la performance avec le programme d’enfantement. Il fait problème dans l’organisation des valeurs du point de vue narratif, parce que sur le programme de naissance la Femme et le Dragon, la vie et la mort s’opposent ou s’articulent. Face à l’anti-programme du Dragon comme dans le cas de la Femme, l’enfant était en danger avant d’être né, mais à partir de la performance, il est soustrait au danger. À partir de sa naissance, son destin royal est privilégié dans le texte comme une sanction.
Du point de vue discursif, le programme de naissance fait problème aussi pour l’organisation de l’espace dans le texte, parce qu’à partir de sa naissance les acteurs commencent à se déplacer. D’abord, l’enfant est enlevé vers Dieu et vers son trône : l’enfant est quelque sorte mis « hors circuit », en réserve, en dehors du dispositif qui se met en place. Ensuite, la Femme s’enfuit au désert, et enfin le Dragon fait la guerre avec Mikaël de sorte que celui-là est jeté du ciel vers la terre. La réalisation de la naissance sanctionne ainsi dans le texte une redistribution de l’espace : ici vs ailleurs. Une fois articulés ici sur la naissance, les acteurs vont ailleurs.
L’enfant est un tel lieu où s’articulent ou s’écartent les figures différentes : Dieu et l’humanité, la Femme et Dragon.
Dans le contexte traditionnel et scripturaire, cet enfant est identifiée souvent avec celle du Christ. Mais pour nous, cet enfant est n’est pas identifiable au Christ, mais l’enfant de la génération humaine dont la viabilité est assurée auprès du trône de Dieu. Voir François MARTIN, op. cit., p.197.
Un tel détail se retrouve dans le texte du Psaume : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour ta possession les confins de la terre ; tu les broieras avec un verge de fer, comme vase de potier tu les fracasseras. » (Ps 2,6-9). Mais aussi dans une dépendance prophétique, plusieurs textes de l’Ancien Testament, notamment Is 26,17 et 66,7, parlent d’enfanter un fils, mâle (fils au masculin, mâle au neutre).