3. DES FIGURES AU CORPS

L’Apocalypse est une attestation qui engage quelque chose du corps. Dans cette adresse, les figures du corps sont nombreuses : un champs positionnel et spatial (celui qui est sur le trône), un champs positionnel et temporel (celui qui est, celui qui était, celui qui vient), un corps transpercé, le sang, un corps à voir, un corps du témoin lié au témoignage et au langage (attestation de vérité, signe, écrit), un corps à la perception et au savoir (au sensible et au cognitif). Il est donc intéressant d’examiner surtout la question du corps autour des figures de la Femme.

Nous avons pu remarquer plus haut des éléments sensibles et passionnels qui sont liés au corps et qui interviennent dans la construction de ce parcours figuratif :

1) Isotopie de la passion : Le figuratif passionnel est accompagné tantôt du savoir, tantôt du visible : « le Diable est descendu vers vous, ayant une grande fureur, sachant qu’il n’a qu’un court moment » (12, 12) ; « en la voyant, je m’étonnai » (17, 6) ; « Et ceux qui habitent sur la terre ... s’étonneront, en voyant la Bête » (17, 8). C’est l’étonnement, dispositif passionnel qui introduit l’écart énonciatif : « Et l’ange me dit : Pourquoi t’étonner ? Moi je dirai à toi le mystère de la Femme » (17, 6-7). Il y a donc la correspondance au plan narratif, mais l’écart énonciatif au plan figuratif. D’où la nécessité de distinguer deux phénomènes, vision et discours, signification et énonciation.

2) Isotopie du vêtement : Les Femmes sont qualifiées par le mode de vêtement : « une Femme, drapée de soleil » (12, 1) ; « La Femme, était ayant été drapée de pourpre, et d’écarlate, et ayant été dorée d’or, et de pierre précieuse, et de perles » (17, 4). En interprétant la vision de l’Épouse de l’Agneau, la parole introduit une nouvelle isotopie : « en effet le lin, ce sont les œuvres justes des saints » (19, 8). C’est sur l’isotopie figurative que vont s’organiser les opérations sémantiques dans le récit : luxure royale (or, perles, etc) / impureté (abomination, prostitution) vs affinité modeste (lin fin pur) / justice (œuvres justes des saints). Il faut donc voir à la fois la corrélation et la rupture entre le dispositif narratif et le dispositif discursif.

3) Isotopie de l’alimentation ou de l’ivresse : Au niveau figuratif, le parcours narratif de l’idolâtrie articule d’abord la prostitution d’une part et l’alimentation d’autre part : « Jézabel, cette Femme qui se dit prophétesse et qui égare mes serviteurs, leur enseignant à se prostituer et à manger des viandes sacrifiées aux idoles » (2, 20). Sur l’isotopie de l’ivresse, la prostitution dans la parole s’articule à la mort sacrificielle dans la vision : « avec laquelle se sont prostitués les rois de la terre, et les habitants de la terre se sont enivrés du vin de sa prostitution » (17, 2) ; « la Femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus » (17, 6) : prostitution et mort sacrificielle sont deux ordres différents, l’un relève de l’idolâtrie, l’autre du témoignage. Comme la prostitution concerne l’alimentation (manger et boire), la sanction porte aussi sur l’alimentation auto-destructive : « Et les dix cornes que tu as vues et la Bête haïront la Prostituée, et ils la rendront déserte et nue, et ils mangeront ses chairs et la consumeront par le feu » (17, 16). Grâce à la noce de l’Agneau, l’isotopie de l’alimentation est introduite différemment : « Écris : Heureux ceux qui ont été invités au repas des noces de l’Agneau » (19, 9). C’est encore la parole prononcée qui ouvre une autre perspective, la joie du repas où il y aura à manger et à boire.

À partir de ces isotopies, nous examinerons l’accomplissement des figures : du signifiant à l’horizon : la constitution d’un corps.