3.2.3. Une structure en spirale

L’Apocalypse est un corps constitué globalement par la succession de quatre blocs narratifs, les septénaires. Mais ces septénaires ne sont pas simplement juxtaposés. Les échos et les reprises sont continuels et reliés à la succession d’émergence de la parole à chaque septénaire. C’est une structure en spirale de la totalité signifiante qui focalise ce qui vient, celui qui vient.

L’Apocalypse présente deux types du « je » en discours : d’une part, le « je » qui se réfère à Dieu, et d’autre part, le « je » qui est mis en scène par l’écrivain visionnaire :

1) Il s’agit d’abord de l’émergence d’une parole, de l’émergence d’une énonciation dans l’énoncé : « Voici je viens bientôt » (22, 7). Ce « je » est intervenu plusieurs fois dans l’Apocalypse : « je suis l’Alpha et l’Oméga » (1, 8 ; 22, 13) ; « Je sais tes œuvres, ton labeur et ta persévérance, et que tu ne peux tolérer les méchants» (2, 2) ; « je viens bientôt » (22, 7.12.20) ; « Moi, Jésus, j’ai envoyé mon ange pour vous apporter ce témoignage au sujet des Églises. Je suis le rejeton et la lignée de David, l’étoile brillante du matin » (22, 16). Du point de vue narratif, ce « je » est le sujet opérateur. Du point de vue discursif, c’est une figure complexe : tous ces « je » inscrits dans le texte sont des inscriptions de l’énonciation dans l’énoncé, mais chaque fois, ils renvoient aux acteurs variés de l’énoncé : le visionnaire, l’Église, le « vous » ; ce « je » peut être globalement et référentiellement Dieu, mais chaque fois avec un rôle thématique différent : le Fils d’homme, le juge, l’époux, le Messie. C’est de « la parole vive » représentée dans le texte de l’Apocalypse.

2) L’autre « je » qui est mis en scène par l’écrivain visionnaire dans l’Apocalypse : « Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans l’épreuve, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvais dans l’île de Patmos à cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus » (1, 9). Ce « je » dans l’énonciation énoncée est celui qui atteste ce qu’il a entendu et vu : « Moi, Jean, j’ai entendu et j’ai vu cela » (22, 8). L’écrivain visionnaire, Jean, nous transmet par écrit ce qu’il a vu et entendu. Mais il ne livre pas tout. L’expérience de la vision et de la parole peut être référée d’abord à l’événement du passé et à ses effets présents. Il est le serviteur et le témoin de la parole ; c’est à cause de la parole qu’il se trouve à Patmos. Ce sont deux tissages : au niveau de la communication, Jean est rattaché à la fois au destinateur et au destinataire, tandis que, au sens plus profond de la communication, il ne s’identifie ni avec l’un, ni avec l’autre. Il s’agit de « la parole vive » dans laquelle émerge l’Altérité absolue.

3) En plus, c’est l’invitation à la parole dans l’Apocalypse : « Heureux celui qui garde les paroles prophétiques de ce livre » (22, 7) ; « Je l’atteste à quiconque entend les paroles prophétiques de ce livre » (22, 18). Il s’agit de la mise en place des « effets attendus » de la parole : la parole en corps, la corporéité. Grâce à cette parole devenue corps, le lecteur énonciataire est aussi invité à devenir sujet d’une parole à venir. Cela permet peut-être de préciser le rôle de la parole : il ne s’agit sans doute pas d’un discours qui informe, mais d’une énonciation qui montre et d’une adresse qui vise des corps d’auditeurs. Le désir de l’Autre est sans cesse présent.

Essayons de préciser la caractéristique de la révélation de l’Apocalypse. Elle nous est donnée comme un événement de rencontre. Cette révélation n’est plus uniquement une connaissance ou un savoir transmis dont le lieu de réception principal est l’intellect. Dans le texte de l’Apocalypse, l’expérience de la voix est située dans un espace et dans un temps particuliers, comme sur une autre scène. Jean « entend une voix » derrière lui, il « se retourne » pour « regarder », il « voit », il « tombe à terre », il « est touché par la droite » de celui qui parle et qu’il a vu (cf. 1, 10-17). Il s’agit d’une transformation, d’une conversion.

Ainsi, l’Apocalypse nous invite à la vie, à la rencontre inattendue. La Noce est déjà annoncée, mais elle n’est pas encore célébrée : « L’Esprit et l’Epouse disent : Viens ! Que celui qui entend dise : Viens ! Que celui qui a soif vienne, que celui qui le veut reçoive de l’eau vive, gratuitement » (22, 17). C’est une ouverture de l’écriture à la vision et à la parole. L’écriture est le témoignage sous la forme de l’invitation, elle nous invite à la réalisation ultime de la vérité, à celle de l’amour.