1. LES APPORTS DE LA SÉMIOTIQUE NARRATIVE

Élaborée à partir de Greimas, la sémiotique « générale » ou « standard » est une science de la signification, qui veut aborder le texte comme un ensemble signifiant construit, cohérent et autonome 489 .

Cette sémiotique s’inscrit dans une double tradition : d’une part, du structuralisme (recherches de Saussure et de Hjelmslev), et d’autre part, de l’anthropologie culturelle et sociale d’autre part (recherches sur les contes de V. Propp et sur les mythes de C. Lévi-Strauss). Chez Greimas, l’élaboration de la sémiotique veut accorder à une théorie du langage qui constitue des unités pertinentes et des règles d’organisation à un autre niveau : celui du discours.

La sémiotique greimassienne fournit la grammaire narrative en vue de l’application à l’analyse des textes : immanence, différence et générativité. Ces postulats fondamentaux de la sémiotique ne se limite pas aux éléments lexicologiques, elle concerne toutes les manifestations de la signification.

Le principe d’immanence définit « la clôture du texte 490  », pour que la sémiotique se restreigne à la description des formes internes de la signification du texte ou aux articulations du « micro univers sémantique 491  ». Parler du micro univers sémantique, c’est considérer le texte comme « un tout de signification ». Sur ce fond, l’analyse vise à décrire la forme du contenu. Le principe d’immanence sert l’analyse immanente parce que l’analyse n’a pas besoin de faire appel à des informations « extérieures » au texte (et relatives à l’auteur, aux événements racontés, aux situations décrites, ou à l’histoire de la rédaction du texte). Une fois le texte lu, le sens est perçu, la signification est construite.

Ce principe d’immanence est sans doute ce qui a le plus frappé les habitudes exégétiques de la Bible 492  ; il marquait non seulement un « retour aux textes » eux-mêmes tels qu’ils nous sont donnés à lire et dans l’état final où nous les rencontrons, mais aussi un souci d’objectivité en posant précisément le texte unique comme objet de l’observation.

Comment décrire des formes internes de la signification ? La réponse de Greimas est la suivante : « percevoir des différences, cela veut dire saisir au moins deux termes objets comme simultanément présents ; percevoir des différences, cela veut dire saisir la relation entre les termes, les relier d’une façon ou d’une autre 493  ». Chez Greimas, la signification se situe ainsi au niveau de la perception qui est un lieu épistémologique plutôt que linguistique, et qui consiste à définir l’exploration à l’intérieur du monde du sens commun, ou du monde sensible 494 . Ce qui fait sens, c’est la transformation du sens, la différence ; la signification, c’est l’articulation du sens qui serait appréhendée par la différence, « d’un certain écart entre deux ou plusieurs grandeurs 495  ». Il s’agit du repérage des différences (paradigmatiques et syntagmatiques), de la construction des structures. Avec ce postulat de différence, on reste toujours dans la lignée du structuralisme : les relations priment sur l’énoncé.

L’histoire de la sémiotique a ainsi commencé par la supposition de la signification dans la structure interne qui organise des valeurs élémentaires. L’hypothèse de Greimas est établie dans le point de vue génératif de la sémiotique 496 :

- Le niveau élémentaire (ou logico sémantique), où le sens est articulé selon des relations simples et par les opérations premières de la logique. Ce niveau élémentaire est modélisé sous la forme du « carré sémiotique ».

- Le niveau narratif, où les opérations sont développées sous formes d’algorithmes. À ce niveau, l’énoncé peut se comparer à un spectacle: il y a les relations Sujet – Objet (Schéma actantiel), leurs transformations (programme narratif) et la mise en place des « valeurs ». La diversité de ces formes narratives s’est trouvée réglée par une grammaire narrative qui permet de décrire les récits : compétence, manipulation, performance, sanction.On parle d’une sémiotique objectale.

- Le niveau discursif (ou figuratif), où le contenu du texte se présente comme un agencement des parcours figuratifs dont l’articulation spécifique détermine des valeurs thématiques. Il s’agit de reconstruire le parcours figuratif ou des grandeurs figuratives autour de trois axes : acteur, temps, espace.

Le contenu global d’un texte peut donc s’organiser, et se décrire, sur trois niveaux d’articulation du sens : élémentaire, narratif, discursif en fonction desquels la théorie sémiotique permet de représenter la complexification du sens. Mais ce parcours génératif est une représentation théorique d’analyse.

Greimas observe d’abord la structure élémentaire, telle qui est articulée en deux sèmes : s vs non s. La structure élémentaire a une logique profonde qui gère et commande l’articulation des différences et une organisation des relations entre des valeurs élémentaires. C’est le « carré sémiotique » de l’instrument proposé à ce niveau élémentaire de la signification 497 .

L’impact des postulats greimassiennes se trouve essentiellement dans la façon dont celle-ci formalise la signification d’un texte au niveau élémentaire 498 . Mais il va s’appliquer plus tard aux niveaux différents de l’analyse : narratif et discursif.

En effet, le principe d’immanence n’est pas au service de la lecture, mais plutôt de la description et de la construction des structures. C’est une sémiotique narrative, une sémiotique de l’énoncé. Pour répondre à la question de la lecture et de l’interprétation, le principe d’immanence va orienter la sémiotique vers les conditions de la signification du texte comme totalité signifiante.

Parler de l’immanence ou de la clôture du texte dans cette perspective, cela signifie que le texte n’est que le texte qui n’est pas identifiable à son contenu 499 . Dans l’approche immanente, le texte est considéré comme le texte à lire et à interpréter, comme le monument de la parole et du langage. Le principe d’immanence va associer ainsi au souci de l’énonciation, la sémiotique va s’orienter alors vers une sémiotique de l’énonciation, vers la réflexion sur le discours et son sujet.

Notes
489.

À propos de l’histoire de la sémiotique, voir Anne HÉNAULT, Histoire de la sémiotique, PUF, Que sais-je ?, 1992.

490.

A.-J.GREIMAS, Sémantique structurale, PUF, 1986, p.91-93.

491.

A.-J.GREIMAS, Du sens, … p.38.

492.

Jean DELORME, « sémiotique », Dictionnaire de la Bible, tome XII, col.281-333, Paris, Letousey & Ané, 1992, col.307 ; voir également Jean-Claude GIROUD & Louis PANIER, Sémiotique, Cahiers Evangile nº59, Cerf, 1987.

493.

A.-J.GREIMAS, Sémantique structurale… p.18.

494.

Ibid., p.8-10.

495.

A.-J.GREIMAS, J. COURTES, « Différence », Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage.

496.

A.-J.GREIMAS, J. COURTES, « Génératif (parcours) », ibid.

497.

A.-J.GREIMAS, Du sens… p.137.

498.

Anne PÉNICAUD, « Vers une lecture figurative de la Bible : les mutations de la sémiotique biblique », Recherches de science religieuse, Tome 89/3, Juillet-Septembre 2001, p.387.

499.

Louis PANIER, « Approche sémiotique de la Bible : de la description structurale des textes à l’acte de lecture »… p. 202-203 ; « La sémiotique et les études bibliques »… p.365.