2.1. Particularités des textes bibliques

Le modèle narratif repose fondamentalement sur la relation entre un Sujet et un Objet (valeur), et sur les transformations de cette relation. Mais la Bible résiste à ce modèle génératif : les sujets y sont définis dans une relation intersubjective plus que dans la relation à un objet ; l’attribution de l’objet préalablement visé n’est pas conforme au signe du manque, mais elle est considérée comme l’attestation de la relation intersubjective. Le pivot du récit est ainsi déplacé. À partir de ce détournement des parcours narratifs, les récits bibliques s’orientent sur un autre parcours. Il s’agit de la question du sujet qui va être posée différemment.

S’agissant du sujet instauré et reconnu, le statut des objets-valeur se trouve transformé dans les récits bibliques. Ces objets sont pris dans un échange verbal, ils deviennent des objets parlés entre les sujets : on a parlé alors d’objets énonciatifs 501 . Si l’objet-valeur est un objet narratif qui motive la quête du sujet, l’objet énonciatif est un objet figuratif. De ce point de vue, les récits bibliques appellent une conception nouvelle du statut de destinateur. Si celui-ci désigne un destinateur lié à une structure de communication dans le schéma actantiel traditionnel de la grammaire narrative, il ouvre une liberté d’un discours et d’une relation de parole 502 .

À partir de la corrélation constante des plans pragmatique et cognitif, la Bible offre beaucoup de formes véridictoires (discernement, reconnaissance et évaluation). Les récits bibliques posent le problème de la véridiction à partir des formes nombreuses et complexes. Quant à l’Apocalypse, la question de la véridiction se déploie à travers le parcours narratif et le parcours discursif.

Le statut de la véridiction concerne le problème de l’interprétation. Il s’agit de la totalité d’un ensemble narratif, mais elle ne se limite pas à des procès singuliers. L’événement raconté est pris simultanément dans plusieurs trames narratives, laissant finalement au travail de l’interprétation. Les récits bibliques ne se réduisent pas à la structure narrative qui en organise le récit. Une telle perspective oriente la sémiotique vers la lecture, vers la pratique de l’interprétation, et vers les conditions de la construction du texte comme totalité signifiante.

Notes
501.

À propos des jeux énonciatifs de l’objet, voir particulièrement Soon-Ja PARK, La transformation énonciative de l’objet de valeur et l’objet énonciatif. Approche sémiotique de quelques récits évangéliques, thèse de Doctorat, Université Lumière Lyon 2, 1997.

502.

Jean DELORME, « Sémiotique », Dictionnaire de la Bible. Supplément, col.322.