2.1.2. La perspective méthodologique

La littérature en méthodologie économique a elle aussi abondamment analysé les relations entre économie et biologie dans l’après‑guerre. Là aussi cependant, c’est l’évolutionnisme qui retient toutes les attentions. La contribution la plus complète et la plus reconnue est Economic Evolution : An Enquiry into the Foundations of New Institutional Economics de Jack Vromen (1995), qui s’intéresse aux développements théoriques depuis 1950 16 .

À la différence de Hodgson, Vromen annonce vouloir « essayer de rendre compte (des développements) des théories économiques d’un point de vue ‘intérieur’ et historique » (Ibid., p. 6). De fait, Vromen « se livre en premier lieu et avant tout à une analyse philosophique et conceptuelle ». (Ibid.)

Economic Evolution rassemble pour la première fois une analyse fine de l’ensemble des travaux en économie évolutionnaire depuis l’article d’Armen Alchian jusqu’à An Evolutionary Theory of Economic Change de Richard Nelson et Sidney Winter (1982). La logique des arguments avancés par chacun est soigneusement pesée, et fait l’objet de commentaires critiques éclairants. L’absence de condamnation ou de parti pris pour l’individualisme méthodologique aide Vromen à atteindre une qualité de jugement aussi bonne dans son examen de chacune des parties dans le débat sur la sélection naturelle économique. En particulier, sa réflexion sur la « sélection » en économie et en biologie reconnaît la possibilité d’une disjonction entre la définition du concept dans les deux disciplines, et suggère ainsi des intensités différentes dans les relations entre économie et biologie, que la perspective institutionnaliste semble parfois négliger.

La discussion de l’altruisme en biologie et de sa rencontre avec l’altruisme en économie dans les années 70 est cependant insuffisante 17 . Vromen interprète les contacts entre les deux disciplines sur la question de l’altruisme comme un cas d’impérialisme de l’économie. Cependant, lorsqu’on observe que les biologistes avaient publié avant les économistes un modèle faisant de l’altruisme le résultat d’une procédure de maximisation, l’image d’une économie envahissant la biologie avec ses modèles d’optimisation perd de sa force. La position ambiguë de Gordon Tullock, à la fois contributeur en biologie et refusant une analyse bioéconomique de l’altruisme, devient également plus confuse si on adopte cette perspective (un impérialiste, mais pas dans sa propre discipline ?).

Plus généralement, nous voulons insister que les travaux méthodologiques de Vromen sur la relation entre économie et biologie, et la lecture institutionnaliste d’Hodgson, pourraient être complétés d’une approche historiographique diachronique.

Notes
16.

Ce sont surtout des économistes qui se sont exprimés sur ces questions méthodologiques. Voir Neil Kay (1995), Maurice Lagueux (1998) et Philippe Solal (1999) sur la sélection naturelle économique d’Alchian. Parmi les biologistes, Jean Gayon (1999) discute l’évolutionnisme de Nelson et Winter, tandis que le philosophe de la biologie John Dupré présente des commentaires généraux et critiques sur l’optimisation en biologie et en économie (Dupré, 1994, 1998). Michael Ghiselin (1974, 1978) et Wilson (1977, 1998) défendent des positions méthodologiques en biologie en se référant à l’économie, mais leur ancienneté font d’eux des acteurs de notre histoire plutôt que des commentateurs postérieurs. Le philosophe des sciences Alexander Rosenberg, bien qu’ayant produit des commentaires détaillés sur la philosophie de l’économie, de la biologie, et d’un lieu de leur rencontre – la sociobiologie, n’a à notre connaissance pas écrit sur les relations de l’économie à la biologie (le plus approchant est le chapitre 7 de Sociobiology : The Preemption of Social Science [Rosenberg, 1980], qui discute la prétention réductionniste de la sociobiologie vis‑à‑vis des sciences humaines).

17.

Comme Vromen a mis à jour son point de vue très récemment, nous poursuivons ici en nous référant à cette dernière version de son argument (Vromen, 2007b).