3.1.1. Une définition transdisciplinaire de l’évolutionnisme

L’évolutionnisme est défini comme la « doctrine philosophique selon laquelle tout le monde réel et, notamment, les sociétés se développent selon une loi d'évolution » mais aussi comme une « théorie biologique de l'évolution ». (Trésor de la langue française informatisé, 2007). Le premier sens de la définition demande qu’une loi de l’évolution soit proposée, et c’est bien souvent le second sens de la définition qui la fournit. Ce n’est pas pourtant pas une nécessité logique 30 .

Stephen Toulmin (1972), Hodgson (1993) et Stephen Sanderson (2007) suggèrent qu’il convient de distinguer, indépendamment du contexte biologique ou social d’application, deux types d’évolutionnisme. Le premier type d’évolutionnisme (qui correspondrait à l’adjectif anglais evolutionist) envisage le changement historique comme le déroulement d’une série de stades préconçus de développement, vers un état final aux caractéristiques prévisibles. Le fonctionnalisme et le téléologisme de cette conception du changement social, illustrés par la philosophie sociale de Spencer, l’anthropologie de Malinowski, ou la théorie des stades de développement de Rostow, trouvent encore certaines expressions en économie 31 . Nous verrons que certains travaux de Boulding et la théorie de la croissance de Penrose peuvent être qualifiés d’« évolutionnisme » dans cette acceptation du terme.

La seconde grande classe d’évolutionnisme (qui correspond, d’après la proposition de Toulmin, à l’adjectif anglais evolutionary) est celle qui ne voit dans le changement qu’une série de réponses circonstancielles et cumulatives d’une population d’entités soumise aux événements surgissant dans l’histoire, ce qui ouvre un nombre infini de trajectoires évolutives possibles. Le changement ainsi décrit n’a pas de terme prévisible, l’évolution est « ouverte » 32 .

Il n’existe pas en français (et en anglais non plus) de distinction terminologique entérinée pour ces deux acceptions d’évolutionnisme (Brette, 2005, pp. 24‑26). Plutôt que d’introduire le néologisme peu élégant d’« évolutionnarisme » pour nommer la seconde classe de théories de l’évolution, nous utiliserons le terme d’« évolutionnisme » pour désigner les deux types de théorie de l’évolution. Nous distinguerons cependant les formes adjectivales « évolutionnistes » et « évolutionnaires » en les faisant correspondre aux termes « evolutionist » et « evolutionary » au sens de Toulmin, qui recouvrent les deux conceptions de l’évolution que nous venons de définir.

Cette clarification de la définition de l’évolutionnisme a l’avantage de signaler que les théories de l’évolution en économie sont a priori conceptuellement indépendantes de lois biologiques du changement. Bien souvent pourtant, les théories du changement économique se sont inspirées des théories biologiques de l’évolution. La relation ainsi matérialisée entre économie et biologie demande alors à être caractérisée. Plus généralement, c’est la question d’une taxonomie des natures différentes de relations entre économie et biologie qui se pose.

Notes
30.

 Ainsi, Nicholas Georgescu‑Roegen définissait une loi d’évolution comme « une proposition qui décrit un attribut ordinal E d’un système donné (ou entité) et établit aussi que si E 1 < E 2 , alors l’observation de E 2 est postérieure à E 1 et inversement ». (Georgescu‑Roegen, 1969, p. 68). L’évolution biologique ne fournit pas de tel attribut ordinal. La « complexité d’organisation » ou le « degré croissant de contrôle sur l’environnement » ont été proposés, mais ces attributs ne sont a priori pas mesurables ordinalement. Aussi Georgescu‑Roegen rejette‑t‑il la loi de l’évolution biologique comme exemple rigoureux de loi d’évolution, et lui préfère‑t‑il la loi d’entropie croissante (Ibid., p. 69).

31.

 Tout du moins pour décrire les évolutions de court à moyen terme. Les études historiques du développement de très long terme des sociétés et des systèmes économiques continuent à invoquer des stades de développement par lesquels les sociétés étaient comme « destinées » à passer.

32.

Cela n’empêche pas que des trajectoires d’évolution asymptotiques puissent se dessiner, mais ce résultat est alors inattendu ; il n’était pas immédiatement prévisible à partir d’une connaissance des conditions initiales.