Chapitre 1. La biologie et l’intégration des sciences chez Boulding : allié ou obstacle ?

En 1950, l’économiste Kenneth Boulding, alors qu’il venait d’être récompensé par la médaille John Bates Clark, publiait un ouvrage proposant de « reconstruire la science économique ». Les deux premiers chapitres développaient une vision « écologique » de l’économie, et Boulding développait ensuite une théorie de l’« homéostasie » de la firme, un concept qui pouvait surprendre ses lecteurs économistes.

Des années 30 au début des années 80, l’œuvre de Boulding a contribué à un contact interdisciplinaire étroit entre économie et biologie. Cette entreprise a été identifiée comme le développement d’analogies biologiques en économie (Daly, 1968 ; Sigüenza, 1982), l’expression d’un souci écologique (Krishnan, Harris et Goodwin, eds., 1995), une étape dans le développement de la théorie générale des systèmes (Hammond 2003), ou un aspect secondaire de son projet d’intégration des sciences sociales (Fontaine, 2006). Ces éclairages différents sur son œuvre posent la question de la logique commune à l’œuvre.

Nous suggérons que la variété des références de Boulding à la biologie et les contextes différents dans lesquels il les employait (depuis une théorie du conflit à l’analyse d’une population d’automobiles) avaient pour origine commune une conception organiciste de la connaissance – ce que nous appelons une métaphore intégratrice. Dès lors, son projet d’intégration des sciences sociales, d’élaboration d’une théorie générale des systèmes, et sa vision écologique de l’économie, apparaissent comme des facettes différentes d’un programme de recherche unique. La relation interdisciplinaire établie par Boulding entre économie et biologie était donc très forte, car elle était contenue dans une vision du monde préétablie qui en garantissait la grande cohérence.

Si la logique interne du projet interdisciplinaire de Boulding était assurée a priori, la réalisation du projet lui‑même était menacée pour deux raisons : d’une part, certaines analogies biologiques pouvaient être mises au service de visions conflictuelles de la société, ce qui établissait une contradiction directe et gênante avec la portée intégratrice que Boulding y trouvait ; d’autre part, l’évolutionnisme à la Boulding, celui de Teilhard de Chardin, prenait un caractère téléologique décidément obsolète au tournant des années 80.