1.1.3. L’(éco‑)système

À l’automne 1954, au Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences à Stanford, Boulding, associé aux biologistes Ralph Gerard, Anatol Rapoport et Ludwig von Bertalanffy, formait l’idée d’une Society for General Systems Research, qui sera effectivement créée en 1956 (Hammond, 2003, p. 9) 53 .

Gerard et Bertalanffy en particulier, par leur formation de physiologistes, étaient sensibles aux propriétés intégratrices de l’organisme biologique : le fait qu’un ensemble manifeste des propriétés irréductibles aux éléments dont il est composé, et maintenant sa structure et ses fonctions au cours du temps en dépit du renouvellement de ces éléments et des perturbations apportées de l’extérieur. Le concept de système dérivait donc, ou redoublait, celui d’organisme : un système est un ensemble manifestant les propriétés d’un organisme. Il permettait le rapprochement entre sciences sociales et naturelles de trois façons au moins. Le formalisme mathématique des « équations différentielles représentant les interactions de substances dans un réservoir pouvaient également représenter les interactions entre espèces dans un système écologique, » et les « courses aux armements, les inflations, les éruptions de violences de masse, etc. peuvent être représentés par des processus de cette nature ». (Rapoport, 2000, p. 110).

La théorie générale des systèmes pouvaient également être conçue comme une classification hiérarchique de systèmes homologues : cellule, organe, individu, groupe, société. Chacun de ces systèmes est caractérisé par une structure, un comportement et une histoire (« being, behaving, becoming », selon l’expression de Gerard), l’objet de la théorie des systèmes est alors l’identification des principes communs (« isomorphiques ») gouvernant ces trois aspects à chacun des niveaux de la classification hiérarchique des systèmes. Ces principes peuvent provenir de sciences différentes, car les sciences sociales disposent d’une plus grande connaissance des sociétés humaines que le biologiste ou le physicien. La théorie générale des systèmes est donc une analyse par une approche pluridisciplinaire qui permet de « cerner » le système étudié (figure 2).

Figure 2. Les sciences naturelles et sociales appliquant conjointement leurs principes aux systèmes.

Source : Bertalanffy, 1955, p. 81.

La théorie générale des systèmes se prêtait donc bien au programme de recherche de Boulding qui, depuis plusieurs années, cherchait à développer activement l’intégration des sciences. Il n’était lui‑même pas étranger au concept, en raison de liens qu’il avait entretenu avec les écoles de Chicago de sociologie et d’écologie.

Même si l’école d’écologie de Chicago avait été florissante dans les années où Boulding était étudiant à Chicago, ce n’est que plus tard que ce dernier en subit l’influence. En 1942‑1943, Boulding avait été professeur à l’Université de Fisk (Tennessee), où le sociologue Robert Park enseignait depuis sa retraite de l’Université de Chicago. Park était un des pères fondateurs de l’école de Chicago de sociologie et promoteur de l’« écologie humaine » :

‘Robert Park, le sociologue, était [à l’Université de Fisk] cette année‑là et eut une grande influence sur moi. Je me souviens d’une demi‑heure de conversation avec lui sur l’écologie sociale qui, je pense, a vraiment changé ma vie, en faisant naître mon intérêt pour l’écologie et la théorie évolutionnaire. (Boulding, 1992b, p. 74) 54 .’

Ce que Boulding retint de son échange avec Park était l’analogie écologique qui avait été importée en sociologie par Park près de vingt ans auparavant, dans son ouvrage coécrit avec Ernest Burgess, The City (1925), et qu’il avait continué à explorer dans les années 30 55 .

Cette analogie était celle qui plaçait, sous le niveau conscient et intentionnel des interactions sociales, une « histoire naturelle » du développement urbain. Ce substrat connaissait des changements au cours du temps qui répondaient à une logique évolutive de déroulement inexorable d’une séquence préconçue. Ce développement était l’équivalent de l’évolution en stades successifs et pré‑identifiables (les « successions » de Henry Cowles) d’une communauté d’espèces animales et végétales se partageant un milieu, les espèces en expansion déplaçant et remplaçant d’autres plus anciennes, avant d’être mises en concurrence à leur tour avec des espèces ayant pu se développer dans ces nouvelles conditions – jusqu’au prochain cycle de changement. Les changements sociaux d’une ville en expansion comme Chicago étaient le résultat d’un processus de développement analogue : l’arrivée de nouveaux immigrants, leur concurrence avec les communautés déjà implantées, leur intégration progressive et finalement leur mise en concurrence avec le dernier arrivé des groupes d’immigrants.

En relation avec cette analogie écologique, Boulding s’était également approprié le concept d’« écosystème, » un terme forgé en 1935 par l’écologiste et botaniste britannique Alfred Tansley. Alors que Tansley avait forgé le concept pour insister sur l’intégration des êtres vivants à leur environnement (l’écosystème désignant le tout), Boulding appliquait la notion d’écosystème dans son A Reconstruction of Economics à la description de la seule dynamique de populations en interdépendances, sans considération des relations à l’environnement. Nous avons vu que sa définition d’une population insistait sur son applicabilité uniforme aux ordres naturels et sociaux ; l’écosystème était une généralisation supplémentaire dans ce sens : « Il doit être souligné qu’en appelant la société un système écologique, nous n’utilisons pas simplement une analogie ; la société est un exemple du concept général d’‘écosystème,’ c'est‑à‑dire, un système écologique dont les systèmes biologiques – forêts, champs, marais – sont d’autres exemples ». (Boulding, 1950, p. 6) 56 .

Ce passage explicite de manière intéressante le projet de Boulding : on voit qu’un niveau d’abstraction générale préexiste, sans substance précise, avant d’être comme « incarné » par différentes disciplines scientifiques. Ce mode de relation entre économie et biologie, bien qu’il soit fait d’analogies, procède de façon opposée à l’analogie évolutionnaire de Nelson et Winter. Ces derniers font un emprunt rapide et presque réticent à la biologie, comme une infidélité à leur identité de chercheurs en sciences sociales. Mais le programme de Boulding était justement la refonte de son identité pour devenir chercheur en « sciences générales » (de la croissance, de la concurrence, de l’évolution, etc.), dont le mode de fonctionnement est l’analogie.

Boulding proposait un traitement analytique des écosystèmes repris de la théorie des populations en interactions de Lotka‑Volterra. Ce qui intéressait encore une fois Boulding était la généralisation permise par le concept et les outils mathématiques associés (voir Figure 3) :

‘Nous ne proposons pas de développer plus les mathématiques des systèmes écologiques : Vito Volterra, dans ses Leçons sur la théorie mathématique de la lutte pour la vie (Paris, 1931) a développé une théorie élaborée des populations biologiques sans, apparemment, réaliser ses applications plus générales. Ce chapitre a pour but de n’indiquer que les grandes lignes le long desquelles une telle théorie générale pourrait être construite. (Boulding 1950, p. 7n) 57 .’

On voit donc qu’avant même les premiers séminaires qu’il allait organiser à Michigan sur l’intégration des sciences sociales, les métaphores intégratrices de Boulding incluaient surtout des références à la biologie. La population, la firme comme organisme homéostatique et la société comme écosystème montrent que l’attitude antiréductionniste de Boulding, exprimée dans sa critique de l’ouvrage de Noyes, ne l’empêchait pas d’appuyer son programme d’intégration des sciences sur des emprunts répétés à la physiologie et à l’écologie des populations.

Figure 3. La représentation d’équilibres démographiques par un système d’équations différentielles

Source : Boulding, 1950, p. 15.

On veut également faire remarquer que les sciences naturelles, en plus d’être pourvoyeuses de concepts analogiques, étaient englobées elles aussi, aux côtés des sciences sociales, dans le projet d’intégration des sciences de Boulding.

Comme l’a montré Fontaine (2006), la « déconstruction » de l’identité d’économiste de Boulding débuta lorsque, étudiant l’économie du travail et passant presque un semestre sur le terrain à rencontrer des dirigeants syndicaux et patronaux à l’automne 1943, Boulding réalisa que « comme le travail est un thème d’étude où presque plus que n’importe quel autre, toutes les sciences sociales se rencontrent, il serait bon d’avoir un noyau qui rassemblerait un représentant de chaque discipline : un économiste, un sociologue, un psychologue, un politologue, un historien, un spécialiste du droit du travail et de la formation professionnelle… » (« Report on Travels in the Labor Movement », Boulding, n.d., Boîte 2, Dossier « nov‑dec 1943 », KEB, cité par Fontaine, 2006, p. 7).

Et pourtant, on doit remarquer que ses propres travaux et ses propres intérêts de l’époque se structuraient sans référence à l’état de l’art en anthropologie, sociologie, histoire ou sciences politiques, comme en témoignent par exemple les choix d’ouvrages – hors économie – dont il écrivait les comptes rendus : Human Behavior and the Principle of Least Effort : An Introduction to Human Ecology de George Zipf (1948), The Human Use of Human Beings : Cybernetics and Society de Norbert Wiener (1949), Cells and Societies de J. T. Bonner (1955) 58 . Le déroulement du séminaire intitulé « Problèmes dans l’intégration des sciences sociales » qu’il lança au second semestre de son arrivée à l’Université du Michigan confirme paradoxalement ce schéma d’ouverture aux sciences naturelles aussi bien qu’aux sciences sociales.

Ce séminaire, tel que proposé au directeur du département d’économie, devait aborder « les contributions des différentes sciences sociales à l’étude de la société, avec une référence spéciale aux problèmes économiques » 59 . Le compte rendu en donne une image différente :

‘Le séminaire de 1949‑50 s’est consacré à la théorie de la concurrence et de la coopération, avec une référence spéciale à l’interaction des populations. Il a réuni des participants venant des domaines de l’écologie, des études forestières, de la sociologie, de l’étude de la dynamique de groupe, de la psychologie sociale, et de l’économie. Le thème qui a été développé au cours du séminaire était la généralité du concept d’écosystème et de succession écologique, tel qu’appliqué à n’importe quel système de populations en interactions, que ce soit dans un champ, une forêt, l’esprit, un petit groupe, ou une société dans son ensemble. Le séminaire était particulièrement remarquable de par les interactions fructueuses entre scientifiques venus de la biologie et des sciences sociales. Le titre du séminaire doit donc être interprété au sens large, pour signifier non seulement l’intégration des sciences sociales entre elles, mais aussi l’intégration des sciences sociales avec d’autres sciences. (« Prospectus for 1952‑53 : A Seminar in the Theory of Growth », Boulding, n.d., probab. mi‑1952, Boîte 40, Dossier « Growth Seminar, 1953 », KEB) 60 .’

On touchait là une ambiguïté fondamentale du projet de Boulding. Son projet était bien celui d’un économiste insatisfait de l’étroitesse de l’approche unidisciplinaire d’un sujet aussi complexe que celui de la société, et voulant mobiliser les points de vue des sciences sociales « sœurs » pour enrichir l’analyse. Mais, peut‑être en raison de son identité d’économiste, ce sont les sciences naturelles et leurs modèles et concepts quantitatifs et leur apparente solidité empirique validée par le caractère expérimental ou naturaliste de ces sciences qui suscitaient l’intérêt de Boulding, plutôt que les constructions théoriques en sciences sociales 61 . Il semble également que l’appel de Boulding à l’intégration des sciences sociales ait séduit en priorité des chercheurs en sciences sociales s’appuyant sur des modèles naturalistes.

Le seul sociologue à être intervenu au séminaire de 1949‑1950 était Amos Hawley, un des rares chercheurs à avoir activement poursuivi le programme d’une sociologie écologique. Il mettait la dernière main à son Human Ecology : A Theory of Community Structure (1950) précisément au moment de sa participation au séminaire de Boulding 62 . Cette orientation vers une intégration des sciences sociales et biologiques se confirma avec les séminaires des années suivantes :

‘Le séminaire de 1950‑51 s’est consacré à la théorie générale du comportement individuel, et a réuni des participants venant des domaines de la cytologie et de la bactériologie, de l’écologie, de la physiologie, de la psychologie, de la psychologie sociale, des sciences politiques, de l’administration publique, de la philosophie, et de l’économie. Encore une fois, le séminaire a été marqué par l’interaction fructueuse entre scientifiques des sciences sociales et biologiques : les lois du comportement de la cellule ont été considérées comme pas complètement dissimilaires des lois du comportement de la firme ou d’une unité administrative. Si un thème unique a émergé du séminaire, c’était l’universalité du concept d’homéostasie et de servomécanisme. (Ibid.) 63 .’

Le séminaire suivant (1952‑1953) s’intéressait aux « lois de la croissance » en s’appuyant sur le On Growth and Form du biologiste anglais d’Arcy Thompson (1942 [1917]), et celui de 1953‑1954 évoquait la théorie de l’information et de la communication 64 . À cette date, le projet d’intégration des sciences sociales de Boulding avait pleinement dérivé vers une intégration des sciences sociales à la biologie, l’expérience de la participation active des biologistes ayant révélé que « fréquemment, les interactions les plus intéressantes ont eu lieu entre domaines éloignés plutôt qu’entre domaines voisins ». Lorsque Ralph Tyler, doyen de la Division des sciences sociales à l’Université de Chicago, le consulta à l’été 1953 sur la possibilité d’un institut d’études avancées en sciences sociales, Boulding avança donc l’idée de « quelque chose comme l’Institute for Advanced Study de Princeton, mais ce concentrant sur les sciences sociales, et j’espèrerais aussi, les sciences biologiques » 65 .

Boulding avait été l’économiste le plus activement engagé dans la communication interdisciplinaire entre économie et biologie au cours des années 40 et 50, dans le cadre de sa vision plus globale d’intégration des sciences sociales. Il mettait ses contacts avec les sciences naturelles au service d’une vision intégratrice de la société, dans laquelle les interdépendances, les mécanismes stabilisateurs et le maintien de l’équilibre étaient mis en évidence. Cela signifie que parmi les modèles « disponibles » en biologie, Boulding sélectionnait ceux qui pouvaient éclairer sa vision de la société comme une organisation aux mécanismes intégrateurs variés mais dans l’ensemble complémentaires et producteurs d’une stabilité générale de la société. Boulding se tournait donc vers les modèles biologiques explorant la stabilité de l’organisme, plutôt que vers les modèles se concentrant sur les interactions individuelles. L’écologie à laquelle il se référait était celle de l’école de Chicago, qui se focalisait sur les communautés ; le principe homéostatique qu’il reconnaissait en sciences sociales était une théorie de la stabilité physiologique du milieu intérieur, organique ; enfin la cybernétique de Wiener et la biologie de Bertalanffy aux fondements de sa théorie générale des systèmes s’intéressaient à la régulation des organismes, tant biologiques que sociaux 66 .

Cet intérêt soutenu, mais finalement sélectif, pour la biologie explique pourquoi Boulding se trouva en porte-à-faux lorsque sa métaphore intégratrice se trouva menacée de deux façons : à partir des années 60, les études du comportement animal en vinrent à justifier une nature humaine agressive, en contradiction avec sa vision d’une société intégrée et pacifiée, et lorsque il adopta un type d’évolutionnisme très conforme à sa philosophie sociale (la biologie de Teilhard de Chardin), mais sans reconnaissance scientifique en biologie.

Notes
53.

Anatol Rapoport était membre du Committee on Mathematical Biology, le groupe du biomathématicien Nicolas Rashevsky à l’Université de Chicago (Rapoport, 2000), et Ralph Gerard était un des « plus grands neurophysiologistes de son temps » (Libet, 1974), premier professeur à occuper une chaire de « Behavioral Science » à l’Université de Chicago en 1955 (Gerard, Miller et Rapoport, 1975 ; Mitman, 1992). Ludwig von Bertalanffy, physiologiste à Vienne jusqu’en 1948 puis à l’Université d’Ottawa, était le promoteur principal du concept de « système ». Sur le rôle de Boulding dans le développement de la théorie des systèmes, et sur la place faite à l’économie et à la biologie dans cette construction, voir Hammond (2003).

54.

« Robert Park, the sociologist, was that year and had a great influence on me. I recall a half‑hour conversation with him about social ecology which I think quite changed my life, beginning my interest in ecological and evolutionary theory ». Voir également la lettre du 29 octobre 1966 adressée par Boulding à W. Basil McDermoot, citée par Fontaine (2006, p. 5).

55.

 Park avait forgé cette analogie au contact de son collègue Robert MacKenzie, mais aussi avec les écologistes formant l’« école de Chicago d’écologie ». L’Université de Chicago, fondée en 1892, s’était distinguée très tôt par le dynamisme de ses départements de sciences naturelles, qui ont été parmi les premiers aux États‑Unis à développer une vision écologique. La spécificité de l’écologie de Chicago résidait dans l’accent porté sur les principes intégrateurs jouant entre l’organisme et son environnement, constamment en ajustements mutuels, à une époque où s’amorçait au contraire dans l’étude une distinction de plus en plus nette entre le matériau héréditaire (isolé dans le noyau cellulaire) et l’environnement façonné par lui. Le physiologiste Charles Child (professeur associé au département de zoologie) s’intéressait lui aussi aux interactions entre environnement et organisme, en concevant l’organisation du métabolisme (en zones d’activités plus ou moins intenses, les gradients) comme une résultante de celles‑ci. En parallèle, l’écologie des populations (s’intéressant à l’étude des animaux vivant en groupe) était développée par une autre figure de la discipline et étudiant de Child, Warder Clyde Allee (1885‑1955). Outre Allee, l’écologie à Chicago était représentée dans les années 30 par Thomas Park, Karl Schmidt, Alfred Emerson, Sewall Wright et Gerard. Park fut influencé par Child (Mitman, 1992, p. 92) et sans doute aussi par Emerson (Matthew, 1977, p. 140). Voir également R. Park (1936a, 1936b).

56.

Remarquer la similitude de ce point de vue avec celui d’Hirshleifer, infra, p. 78.

57.

« It is not proposed to go very far into the mathematics of ecological systems: Vito Volterra, in his Leçons sur la théorie mathématique de la lutte pour la vie (Paris, 1931) has developed an elaborate theory for biological populations, without, apparently, realizing its more general applications. The present chapter is intended to do little more than indicate the broad lines on which such a general theory might be constructed ».

58.

 Pour ce dernier ouvrage, il semble que Boulding a été induit en erreur par le titre, une erreur révélatrice de ses intérêts de l’époque. Il débute son compte rendu ainsi : « La seule chose qu’un lecteur non‑biologiste puisse trouver à critiquer dans ce travail est le titre, qui peut conduire certains à penser que ce livre traite des relations entre sciences sociales et biologiques. En fait ce livre est une introduction à la biologie […] », (Boulding, 1956a, p. 216).

59.

 Boulding à Leo Sharfman, 18 janvier 1949, Boîte 3, Dossier « Jan 1949 », KEB.

60.

« The 1949‑50 seminar devoted itself to the theory of competition and co‑operation, with especial reference to the interaction of populations. It brought together people from the fields of ecology, forestry, sociology, group dynamics, social psychology, and economics. The theme which developed in the course of the seminar was the generality of the concept of the ecosystem and ecological succession, as applied to any system of interacting populations whether in the field, the forest, the mind, the small group, or society at large. The seminar was particularly noteworthy for the fruitful interactions between the biological and the social scientists. The title of the seminar must therefore be interpreted broadly to mean not only the integration of the social sciences among themselves but also the integration of the social sciences with other sciences ».

61.

À cet égard, son appréciation du concept de « système » est exemplaire. Il adoptait le concept tel que présenté par Bertalanffy, un physiologiste, mais il était profondément antipathique du « système » quand il s’agissait d’une construction théorique sans base empirique échafaudée par Talcott Parsons (Boulding, 1958).

62.

Hawley était professeur associé au département de sociologie de l’université et ancien étudiant de Robert McKenzie, co‑auteur de The City avec Burgess et Park, et le premier sociologue à avoir proposé l’étude des communautés locales du point de vue écologique (McKenzie, 1924 ; Burns, 1980 ; Lannoy, 2004). « On prend beaucoup de plaisir à notre séminaire d’intégration des sciences sociales : nous étudions la théorie de la concurrence, et nous avons considéré jusqu’ici (une aide très précieuse, je pense) la contribution des biologistes, et en ce moment Hawley nous aide avec la contribution de la Sociologie. Il a été intéressant de voir quelle réelle unité de pensée s’est développée, et aussi comment nous avons été forcés d’aller au‑delà des frontières des sciences sociales elles‑mêmes ». Boulding à Robert Angell (directeur du département de sciences sociales de l’UNESCO), 29 mars 1950, Boîte 4, Dossier « March‑April 1950 », KEB. L’introduction du Human Ecology de Hawley est signée du 15 mars 1950. En dépit d’une lettre de désistement de Hawley à l’automne 1949, la lettre de Boulding à Angell et les références bibliographiques fournies pour le séminaire suggèrent que Hawley est bien intervenu sur le thème de l’écologie humaine (« Human Ecology and Competition », n.d. [probab. fin 1949, début 1950], Boîte 40, Dossier « Integration seminar, 1949‑1950 », KEB).

63.

 « The 1950‑51 seminar devoted itself to the general theory of individual behavior, and brought together people from the fields of cytology and bacteriology, ecology, physiology, psychology, social psychology, political science, public administration, philosophy, and economics. Once again the seminar was marked by fruitful interaction between the biological and the social scientists : the laws of behavior of the cell were seen to be not wholly dissimilar from the laws of behavior of a firm or an administrative unit. If any single theme emerged from the seminar it was the universality of the concept of homeostasis and servo‑mechanisms ».

64.

Boulding envisageait la possibilité d’une théorie générale de la croissance (Boulding, 1953) s’appliquant à l’organisme simple (avec la courbe logistique de Pearl), la population (évoquant ici son modèle populationnel de 1934), ou l’évolution des structures (le « principe de d’Arcy Thompson » décrivant la croissance par isomorphie). Le séminaire sur l’information et la communication dérivait de l’intérêt de Boulding pour les servomécanismes et le phénomène de rétroaction développés par la cybernétique, et très proche du concept biologique d’homéostasie. En effet, Norbert Wiener avait pour proche collaborateur le collègue physiologiste de Cannon, Arturo Rosenblueth, qui fit d’ailleurs la première présentation aux conférences Macy (Conway et Siegelman, 2004, Fleming 1984, Heims 1991). Boulding rencontra Norbert Wiener et l’invita au séminaire, mais celui‑ci déclina (Boulding à Wiener, 25 février 1954, Boîte 5, Dossier « Feb 1954 », KEB).

65.

« Prospectus », n.d., prob. fin 1953‑début 1954, Boîte 40, Dossier « Information seminar » ; Boulding à Tyler, 14 août 1953, Boîte 5, Dossier « Aug 1953 », KEB.

66.

 Le recours de Boulding à des modèles de biologie des populations (dont l’unité d’analyse est l’individu, la population n’étant que n individus) peut sembler à première vue une entorse à cet intérêt pour les théories organiques que nous venons de souligner. Mais Boulding sélectionnait parmi ces modèles ceux qui décrivaient la dynamique de plusieurs populations en interdépendance (les modèles proies prédateurs et épidémiologiques de Lotka et Volterra), plutôt que les modèles décrivant l’évolution d’une population autonome (comme le faisaient les modèles de génétique des populations), ce qui est cohérent avec son intérêt pour la dynamique intégratrice à l’œuvre dans les sociétés.