Chapitre 2. La métaphore de l’optimisation en biologie : quel rôle pour l’économie ?

La métaphore intégratrice de Boulding appelait des rapports étroits entre économie et biologie, mais ce programme de recherche resta très isolé. Ainsi, lorsque Sociobiology de Wilson paru en 1975 et fit « l’effet d’une bombe » (Hodgson, 2005), ce n’était en aucune façon en résonance à la vision que Boulding avait des rapports interdisciplinaires. La similitude évidente de certains modèles économiques avec des modèles d’optimisation présentés dans Sociobiology, mais développés depuis le milieu des années 60 en biologie, reste mal connue. On manque d’une caractérisation précise de la signification de cette proximité théorique 82 .

Cette compréhension est sans doute obscurcie par l’emploi générique du terme d’« impérialisme » : il y aurait une exportation victorieuse de la méthode économique, là où on observe l’emploi de modèles d’optimisation en biologie. Or, un examen plus attentif des circonstances historiques montre que ces modèles ont été développés avant qu’un dialogue avec les économistes ne s’installe. Nous suggérons que la grille de lecture qui articule les analogies biologiques à une métaphore sous‑jacente permet de donner une vision d’ensemble plus cohérente des rapports entre économie et biologie dans les années 70.

Nous montrerons que les rapports entre économie et biologie développés autour de la sociobiologie, mais aussi de l’écologie comportementale (behavioral ecology), développent une analogie de l’utilité‑adaptabilité 83 . Notre étude montrera que cette analogie a été développée « par les deux versants » : les biologistes ont élaboré des modèles qui attribuaient aux animaux des capacités rationnelles et morales habituellement dévolues aux humains, tandis que les économistes attribuaient une fonction évolutive à la maximisation d’une fonction d’utilité aux arguments toujours plus nombreux. Cette relecture permettra de mieux saisir la polarisation idéologique affectant ce type particulier de relations entre économie et biologie : c’est la métaphore de l’optimisation sous‑jacente, et la valeur positive qu’elle confère aux situations d’équilibre, qui était une source essentielle de critique ou d’engouement pour la sociobiologie.

Notes
82.

 Jusqu’ici, les études se sont focalisées sur la réception de Sociobiology en économie (Levallois, 2007a ; Vromen, 2007).

83.

 Le terme d’adaptabilité est ici pris comme synonyme de « valeur sélective », et correspond au terme anglais fitness.