Chapitre 3. La refondation de l’économie et de la biologie sur une métaphore de la dynamique : longévité et vieillissement d’une alliance

Si, comme nous l’avons vu, l’école de Chicago était puissamment liée à la biologie par le jeu de la métaphore de l’optimisation, on peut encore douter de l’importance relative de ces relations dans l’économie dans son ensemble et considérer que son « cœur » restait étranger à tout contact sérieux avec les sciences de la vie.

Cette lecture est celle qui s’est répandue par défaut lorsque Mirowski (1989) a soutenu que l’économie du vingtième siècle s’était inspirée de la physique du dix-neuvième siècle : la biologie, si elle avait entretenu jusque‑là une quelconque affinité avec l’économie, était reléguée à une place marginale dans l’histoire récente de l’économie 123 . Hodgson a apporté une sanction positive à cette lecture lorsque, écrivant l’histoire de l’évolutionnisme en économie, il opposa la métaphore mécaniste développée en physique à la biologie. Nous allons voir que cela revient à obscurcir le contact bien réel entre économie et biologie via le jeu de la métaphore mécaniste.

Les éléments communs entre l’économie de Samuelson et la biologie physique d’Alfred Lotka ont été mis au jour récemment (Weintraub, 1991), mais les nombreuses contributions de Samuelson à la biologie n’ont jamais été évoquées. Nous commencerons donc par rassembler ces deux aspects de l’économie samuelsonienne, pour présenter le rapport étroit entre celle‑ci et la biologie théorique de son temps, via la métaphore commune de la dynamique. Cette métaphore désigne la vision des scientifiques qui reconfigurent systématiquement les problèmes de leur discipline (que ce soit la chimie avec Gibbs, la biologie avec Lotka, ou justement l’économie avec Samuelson) sous la forme de systèmes d’équations différentielles, pour procéder à l’étude de formes fonctionnelles générales au voisinage de l’équilibre du système, ou en dynamique.

Dans un second temps, nous étudierons le dialogue difficile entre Samuelson et les tenants de la métaphore de l’optimisation sur la question de l’altruisme. Samuelson restait rétif aux interprétations anthropomorphiques des comportements d’entraide en biologie. Cette incompréhension révèle que c’est moins le rapprochement interdisciplinaire qui était source de difficulté, que la juxtaposition de projets scientifiques révélant des métaphores différentes.

Notes
123.

 Voir également Ménard (1988). L’opposition entre référent biologique et mécanique avait été rendue célèbre en économie par Marshall, qui indiquait que « la Mecque de l’économiste est la biologie économique, plutôt que la dynamique économique. Mais les conceptions biologiques sont plus complexes que celles de la mécanique ; un volume consacré aux Fondations doit donc donner une place relativement plus grande aux analogies mécaniques », (Marshall, 1920, p. xiv).