Foundations of Economic Analysis, qui était tiré de la thèse de Samuelson et publié en 1947, a façonné l’économie d’après‑guerre au point qu’on a pu qualifier l’économie contemporaine d’« économie samuelsonienne ». (McCloskey, 2000). L’ouvrage représentait au temps de sa parution une nouveauté radicale dans la mesure où il était un long exposé mathématique très technique, alors que peu d’économistes maîtrisaient encore ce langage. Samuelson utilisait l’algèbre pour rester à un niveau de généralité très élevé, les applications numériques même à titre d’illustration restant exceptionnelles.
L’ouvrage débutait en revisitant deux lieux communs de la théorie économique, les théories du producteur et du consommateur, en les présentant comme de simples illustrations de problèmes de maximisation aboutissant à un équilibre, dont Samuelson menait l’analyse par la statique comparative. S’écartant provisoirement du thème général, Samuelson présentait également une théorie du bien‑être s’appuyant sur les travaux récents d’Abraham Bergson, avant de revenir dans trois derniers chapitres sur l’analyse, essentiellement mathématique et sans application à un thème économique précis, des systèmes à l’équilibre ou des systèmes dynamiques.
Comme nous l’avons vu dans la section précédente, on trouve de nombreux points des Elements de Lotka en correspondance directe avec les Foundations de Samuelson. Mais il est possible de tracer un parallèle plus puissant entre les deux œuvres, en soulignant qu’un projet commun, développé par des contacts personnels entre Lotka et Samuelson, sous‑tendait les deux ouvrages.
La généralité que Samuelson souhaitait atteindre grâce à l’emploi des mathématiques rappelle l’ambition de Lotka dans ses Elements. Là où Lotka voulait employer les mathématiques pour en finir avec les discussions sans fin sur des concepts mal définis en biologie, Samuelson exprimait une même impatience en économie :
‘Seulement une toute petite fraction d’écrits économiques, théoriques ou appliqués, s’est intéressée à la démonstration de théorèmes significatifs du point de vue opérationnel. C’était le résultat, tout du moins en partie, de mauvaises préconceptions méthodologiques selon lesquelles les lois économiques déduites d’hypothèses a priori possédaient une vigueur et une validité indépendantes de tout comportement humain empirique. […] Il n’est pas besoin de creuser beaucoup pour trouver des exemples. Ce sont littéralement des centaines d’articles érudits qui ont été écrits sur la question de l’utilité. Prenez un peu de mauvaise psychologie, ajoutez un soupçon de mauvaise philosophie et d’éthique, et une riche quantité de mauvaise logique, et n’importe quel économiste peut prouver que la courbe de demande d’un bien est décroissante. […] Dans cette étude, je tente de montrer qu’il existe vraiment des théorèmes significatifs dans les différents aspects des affaires économiques. Ces théorèmes ne sortent pas de nulle part, et ne sont pas déduits de propositions a priori à valeur de vérités universelles sans applicabilité. (Samuelson, 1947, pp. 3‑5) 134 .’Les Foundations de Samuelson proposaient de remédier à ce constat d’une théorie économique sans rigueur en employant la même méthode que Lotka dans son exercice de reformulation des grands thèmes de la biologie. Si les références à Lotka sont rares dans les Foundations mêmes (trois en tout), dans une préface de l’édition de 1965 Samuelson est plus disert :
‘Le présent ouvrage n’avait pas été écrit dans le but d’illustrer comment les mathématiques peuvent avoir un intérêt dans leurs applications à une science sociale. Il avait le but plus prosaïque et immédiat de s’attaquer à des problèmes internes à la recherche économique. […] Néanmoins, comme un produit secondaire non intentionné, ou bonus, l’ouvrage peut avoir un intérêt pour le lecteur curieux de méthodologie des sciences sociales, et des mathématiques appliquées en général. De ce point de vue, on peut espérer que ce livre puisse être classé aux côtés des Elements of Physical Biology d’Alfred Lotka, que le non biologiste que je suis trouva énormément stimulant, en même temps qu’il représentait une attaque sérieuse des problèmes professionnels du sujet. (Samuelson, 1965a, p. viii) 135 .’La similitude entre le projet des Elements et des Foundations est‑elle seulement un « produit secondaire » décelé comme fortuitement et après coup, par Samuelson ?Weintraub propose l’hypothèse intéressante que c’est Edwin B. Wilson, professeur d’économie mathématique de Samuelson à Harvard à partir de l’automne 1935, et auteur d’une note de lecture élogieuse des Elements de Lotka en 1927, qui put en suggérer la lecture à Samuelson 136 . Ce dernier avait un intérêt aigu pour la biologie mathématique de l’époque – sans doute dans le cadre plus général de ses nombreuses lectures en mathématiques théoriques et appliquées :
‘Tôt déjà, j’avais effectivement des intérêts mêlant mathématiques et biologie : les méthodes actuarielles appliquées au remplacement des automobiles [un thème traité par Lotka en 1933], les théories de croissance logistique de Verhulst‑Pearl ; la démographie de Lotka‑Sharpe et de Kuczynski ; la démographie de Cole‑Keyfitz ; les modèles de proies-prédateurs de Lotka‑Volterra ; la génétique de Fisher‑Haldane‑Wright. […] Je connaissais Lotka personnellement, et j’étais amusé par ses débats avec Gabriel Preinich [sic] aux réunions de l’American Economic Association. Je connaissais les 100+ articles de sa bibliographie. (Samuelson, à l’auteur, 22 mars 2007) 137 .’Samuelson avait beau être un lecteur sans doute prodigieux, cette connaissance de la bibliographie complète de Lotka nous apparaît témoigner d’un intérêt particulier.
Lotka lui‑même semblait avoir reconnu la proximité des travaux de Samuelson avec sa propre approche. Il conservait ainsi un tiré à part de « The stability of equilibrium : comparative statics and dynamics » (1941), publié par Samuelson dans Econometrica. Cet article, que Samuelson lui avait envoyé, présentait pour la première fois la méthode de la statique comparative (appliquée au système keynésien) qui permettait d’obtenir ces théorèmes « opérationnels » qui seraient au cœur des Foundations, et qui avait une parenté évidente avec la démarche des Elements de Lotka. Celui‑ci comptait apparemment s’appuyer sur cet article dans la possible révision de l’important chapitre 6 (sur la « kinétique ») de ses Elements 138 . On note enfin que Lotka opinait lui‑même au parallèle entre son œuvre et celle de Samuelson. Dans une lettre adressée à Lotka en 1943, George Lundberg, alors président de l’American Sociological Society, notait :
‘Permettez‑moi de remarquer une nouvelle fois […] le formidable stimulus que j’ai reçu de votre ELEMENTS OF PHYSICAL BIOLOGY. J’aimerais tenter un travail de ce type en sociologie, un jour, à moins qu’entre-temps une personne plus compétente ne le fasse. (Lundberg à Lotka, 10 mai 1943, Boîte 3, Dossier 3, LPPU) 139 .’Dans la marge à la hauteur de ce passage, Lotka a écrit au crayon : « Richardson ? Samuelson Econometrica » 140 .
Il apparaît donc une unité profonde entre les deux œuvres fondamentales de Lotka et Samuelson. Les Elements de Lotka ne se réduisent pas au rôle de « source généreuse à laquelle Samuelson pouvait puiser [les mathématiques de] la dynamique, la littérature mathématique elle‑même nourrissant directement les investigations de Samuelson en théorie dynamique ». (Weintraub, 1991, p. 48). Plutôt, l’œuvre de Lotka semble avoir eu sur Samuelson le degré d’influence qu’elle eut sur Lundberg, mais aussi sur Rashevsky 141 , ou encore sur l’anthropologue Leslie White 142 : elle contribua sans doute à suggérer une direction au projet de refondation de l’économie de Samuelson, à lui donner une cohérence, et devait donc logiquement aboutir au fait que l’économie de Samuelson ressemblât à la biologie de Lotka.
Ce type de rapprochement entre économie et biologie peut paraître superficiel si l’on considère, en suivant les lignes de la thèse de More Heat than Light (Mirowski 1989), que l’économie et la biologie de Samuelson et Lotka sont finalement chacune bien plus proche d’un référent physique qu’elles ne sont apparentées entre elles. Cette vue a pourtant ses défauts. Comme Mirowski le note, la physique a subi des transformations très importantes au cours du vingtième siècle (avec la théorie de la relativité et la mécanique quantique, pour ne citer qu’elles), ce qui a eu pour effet d’éloigner toujours plus les modèles économiques empruntés à la physique à la fin du dix‑neuvième siècle, et figés dans leur état d’alors, de l’état de l’art dans cette dernière discipline. La biologie physique de Lotka subit le même sort et se trouva elle aussi en décalage croissant avec la physique contemporaine. Dans le même temps, l’analogie physique originale, mobilisée dans les travaux de Lotka et de Samuelson, finissait par être doucement oubliée : en 1956, il est significatif que les Elements of Physical Biology de Lotka aient été republiés sous un nouveau titre : Elements of Mathematical Biology, l’appellation « de biologie physique » disparaissant ainsi. En économie, l’impact même de More Heat than Light montre combien les économistes avaient oublié la nature exacte et l’étendue de leur dette vis‑à‑vis de la physique pré‑relativiste, pré‑quantique. La conclusion à laquelle on doit arriver est qu’après‑guerre, l’économie mathématique de Samuelson et la biologie mathématique, qui étaient à la pointe de leurs disciplines, entretenaient finalement beaucoup plus de ressemblances entre elles mêmes qu’avec un référent physique contemporain. La sous‑couche de l’analogie physique était « morte, » et il faut un Mirowski pour rappeler aux économistes qu’elle était activement poursuivie dans les modèles de l’économie néoclassique. Les contributions ultérieures de Samuelson en biologie, peu connues, montrent combien la biologie et l’économie étaient devenues proches parentes depuis les Foundations.
Samuelson a fait des incursions régulières en théorie dynamique des populations, dont Lotka est considéré comme l’un des pères fondateurs. Les contributions de Samuelson pouvaient se mêler à ses travaux en économie, comme en 1958, lorsqu’il compléta (après Maurice Allais) un premier modèle à générations imbriquées, qu’il appela « théorie biologique de l’intérêt et de la croissance de la population ». L’élément biologique central de l’article portait simplement sur un taux de croissance de la population, mais la réflexion biologique de Samuelson s’étendait plus loin que l’utilisation de ce simple paramètre démographique. Samuelson notait que l’altruisme intergénérationnel, aussi désirable soit‑il, pouvait souffrir de la présence d’un passager clandestin : « si tout le monde obéit [à la règle de réciprocité] sauf un, celui qui désobéit peut gagner un avantage égoïste ». (Samuelson, 1958, p. 480) Cette réflexion était poursuivie la page suivante :
‘Le respect pour la vie, au sens [du sentiment humain appelant au] respect de la vie des fleurs et des fourmis, peut être un handicap dans la lutte darwinienne pour l’existence. (Et, puisque celui qui respecte la vie tend à disparaître, les fourmis ne sont peut être pas aidées dans le long terme.) Mais la culture dans laquelle l’altruisme abonde – parce que les hommes ne pensent pas à se comporter comme des concurrents atomistes ou parce que les hommes sont, par des coutumes ou des lois, liés par des contrats sociaux – peuvent avoir de grands pouvoirs de survie et d’expansion. (Ibid., p. 481) 143 .’Samuelson interprétait alors la monnaie comme un « stratagème social » (social contrivance) permettant aux générations plus anciennes de faire valoir leurs droits sur la génération suivante – une réflexion originale sur une possible origine de la monnaie, en liaison avec une série de questions qui allaient bientôt occuper le devant de la scène en biologie – la nature de l’altruisme, le problème du passager clandestin, et le rôle évolutionnaire des institutions culturelles (voir par exemple Trivers, 1971).
En 1963, dans son fameux commentaire critique sur l’essai méthodologique de Milton Friedman, il est frappant de voir le soin que prit Samuelson pour dissocier l’irréalisme méthodologique, qui était la cible de son raisonnement, de l’argument de sélection naturelle (« la doctrine d’Alchian », Samuelson, [1963, p. 235]) sur lequel Friedman s’était pourtant appuyé dans sa démonstration en 1953 144 . Samuelson aboutissait à la conclusion que de son point de vue, l’argument de la sélection naturelle économique renforçait l’hypothèse de maximisation – sans pour autant apporter de crédit supplémentaire à la position méthodologique de Friedman.
Lors d’un colloque en philosophie des sciences au MIT réunissant des figures de chaque grande discipline (Lerner, 1965), Samuelson choisit d’illustrer la notion de cause en économie par une équation aux différences X(t+1) = F[X(t)], expression générale qu’il explicitait en se référant constamment au modèle de proies‑prédateurs de Lotka‑Volterra. En 1967, il écrivit un essai intitulé « A Universal Cycle ? » qui appliquait encore une fois le modèle de Lotka‑Volterra à la détermination endogène du cycle économique. Comme le montre le titre de sa présentation, Samuelson n’opérait pas un simple transfert de modèle de la biologie à l’économie, mais suggérait que ces deux disciplines étudiaient des phénomènes représentant des instances (des applications) d’un modèle plus général – que nous identifions comme le signe de l’exercice d’une métaphore mécaniste. Ce modèle du cycle est passé assez inaperçu bien qu’il soit paru la même année que le court essai remarqué de l’économiste Richard Goodwin, qui lui était remarquablement similaire (il expliquait les alternances de croissance et de récession dans une économie composée de deux classes sociales, à l’aide d’un modèle proies-prédateurs) 145 .
À dater de son élection à la National Academy of Sciences (NAS) en 1970, Samuelson accéléra encore sa production de contributions en lien direct avec l’œuvre de Lotka. Sur un total de dix‑sept contributions en tant que membre économiste de la NAS de 1970 à 1992, sept touchent à la théorie biologique des populations. Samuelson publia également dans la même période plusieurs contributions dans Theoretical Population Biology, un journal fondé par les grands noms de la biologie théorique des années 70. De manière significative, tous ces articles se positionnent par rapport aux travaux de Lotka, qui sont explicitement mentionnés 146 .
Samuelson ne proposait cependant pas de commentaire réflexif sur ses travaux en biologie (les articles qu’il publiait dans les PNAS, d’une présentation nécessairement extrêmement condensée, ne s’y prêtaient pas particulièrement.) En 1975, dans un compte rendu de Sociobiology pour Newsweek, Samuelson se livrait davantage : « En tant qu’économiste j’ai trouvé depuis longtemps une valeur heuristique au concept darwinien de valeur de survie. Je parie que l’entreprise qui fixe des prix irréalistes ira droit dans le mur. Et si une nouvelle source d’énergie s’avère possiblement viable, comme par exemple le soleil ou le vent, je cherche des signes de sa pénétration sur le marché concurrentiel ». (Samuelson, 1975, p. 55)
Samuelson, remarquablement, trouvait ce concept darwinien plus difficile à manier en biologie : « Mais l’économie est une zone plutôt sûre. J’entrevois des problèmes bien plus difficiles pour les sociobiologistes quand ils essaient d’aborder les problèmes de la race et du sexe. Comment tracez‑vous une distinction claire entre un Shockley et un Wilson ? Entre un Hitler et un Huxley ? » (Ibid.) 147 La sociobiologie humaine n’avait aucune base empirique pour rendre cette distinction plus claire : « Tout ce que nous avons, et pouvons avoir, est une masse de spéculations, un ensemble d’anecdotes pas vraiment décisives, créées pour déclencher la rancœur sociale et la controverse ». (Ibid.) L’intérêt de Samuelson pour la sociobiologie n’en était pas moins éveillé et il n’allait pas tarder à entrer dans le débat théorique sur la nature de l’altruisme et confronter ses positions à celles de Becker, Hirshleifer et Tullock.
Ces derniers avaient été séduits par la métaphore de l’optimisation en biologie, qui leur renvoyait l’image d’une discipline analysant les coûts et bénéfices associés aux comportements animaux – une analogie facile avec la théorie des prix en microéconomie, qui suggérait une série de parallèles. Samuelson utilisait aussi l’hypothèse fondamentale d’individus maximisateurs, mais comme simple « marchepied » permettant la formulation de systèmes d’équations fonctionnelles et l’examen de leurs propriétés. C’est la dynamique de ce système, au voisinage de l’équilibre avec la statique comparative, ou hors équilibre (étude des limites des valeurs du système), qui l’intéressait et constituait à ces yeux un pont analytique légitime entre économie et biologie. L’étude mathématique des systèmes était également développée en biologie et en économie – il avait lui‑même créé cet état de fait, il pouvait donc en tant qu’économiste intervenir dans un débat occupant les biologistes. En revanche, il se déclarait incompétent dans les questions qui intéressaient Becker, Hirshleifer et Tullock : il refusait de faire de la biologie une théorie redoublée du choix rationnel.
L’intervention de Samuelson dans le débat sur la valeur sélective de l’altruisme était donc vouée à être d’une nature particulière. Alors que depuis Hamilton, Trivers, Becker et Hirshleifer, il apparaissait que l’altruisme devait s’envisager comme un trait comportemental particulier né de la maximisation de l’utilité‑adaptabilité de l’individu‑animal, le prisme à travers lequel Samuelson concevait la relation entre économie et biologie, celui de la dynamique des systèmes, ne laissait pas de place pour une telle formulation en termes de coûts‑bénéfices. Sa propre vision métaphorique était sans doute tout aussi légitime que celle des sociobiologistes et des économistes de Chicago ; cependant, le fait qu’il était seul à la défendre, un accueil de respect silencieux étant réservé à ses publications, montre que la métaphore de Samuelson avait vieilli : dans les années 70, l’interprétation qu’elle donnait de la réalité sociale était sans signification pour ses contemporains.
« [O]nly the smallest fraction of economic writings, theoretical and applied, has been concerned with the derivation of operationally meaningful theorems. In part at least this has been the result of the bad methodological preconceptions that economic laws deduced from a priori assumptions possessed rigor and validity independently of any empirical human behavior. […] We do not have to dig deep to find examples. Literally hundreds of learned papers have been written on the subject of utility. Take a little bad psychology, add a dash of bad philosophy and ethics, and liberal quantities of bad logic, and any economist can prove that the demand curve for a commodity is negatively inclined. […] In this study I attempt to show that there do exist meaningful theorems in diverse fields of economic affairs. They are not deduced from thin air or from a priori propositions of universal truth and vacuous applicability ».
« The present book was not written with the purpose of illustrating how mathematics might be interesting in its applications to a social science. It had a more prosaic, workaday purpose of getting on with the internal problems of economic research. […] None the less, as an unintended by‑product or bonus, the book may hold some interest for the reader who is curious about the methodology of the social sciences and of applied mathematics generally. In this respect the book might hopefully be classified with A. J. Lotka’s Elements of Physical Biology, which a non‑biologist like me found enormously stimulating a the same time that it represented a serious attack on the professional problems of that subject ».
Une autre source nous donne le point de vue de E. B. Wilson sur les Elements presque 30 ans plus tard, à l’occasion de leur réédition par Dover Publications : « Le livre de Lotka était une œuvre de valeur et originale. Je l’ai lu et étudié avec intérêt – en effet, j’en eu connaissance alors qu’il était encore en cours d’écriture. De ce qui est paru depuis, je ne connais rien qui égale ce livre. Certains de ses thèmes ont pu être améliorés par d’autres, mais comme œuvre globale je pense qu’il reste un classique dans son domaine ». E. B. Wilson à Hayward Cirker [président de Dover Publications], sans date [fin septembre / début octobre 1953], Dover Publications. Une hypothèse alternative est que Samuelson en eut connaissance via son professeur Henry Schultz à l’Université de Chicago (où Samuelson obtint son B.A. d’économie en 1935), dont c’était un des ouvrages favoris, et qui le recommandait à ses étudiants (Simon 1991, p. 51).
« Early on I did have math‑biological interests: actuarial methods applied to auto replacement; Verhulst‑Pearl logistic growth theories; Lotka‑Sharpe and Kuczynski demography; Cole‑Keyfitz demography; Lotka‑Volterra predator prey models; Fisher‑Haldane‑Wright genetics. […] I knew Lotka personally and was amused by his arguments with Gabriel Preinich at the American Economic Association. I knew all the 100+ papers in his bibliography ». Gabriel Preinreich était un économiste s’intéressant à la théorie du renouvellement du capital, à laquelle Lotka avait contribué par un modèle de calcul actuariel, qu’il avait modifié pour traiter l’évolution d’une population. (Lotka, 1939 ; Hotelling, 1941). Ailleurs, Samuelson fait mention d’une correspondance avec Lotka (Samuelson, 1976, p. 559n) dont nous n’avons pas pu prendre connaissance.
Boîte 7, dossier 6, A. J. Lotka Papers, Seeley G. Mudd Manuscript Library, Princeton University (par la suite, LPPU). La mention « Phys Biol Chapter 6 » apparaît au crayon sur la couverture.
« Permit me to remark again […] upon the tremendous stimulus which I received from your ELEMENTS OF PHYSICAL BIOLOGY. I should like to attempt a work of that type in sociology someday unless in the meantime someone more competent does so ». Il apparaîtrait ainsi que c’est sans doute la lecture des Elements de Lotka qui ait transformé Lundberg en champion d’une sociologie physique –qu’il n’était pas au début de sa carrière.
Il s’agit de Lewis Richardson, qui avait développé une théorie mathématique des conflits à la fin des années 10, en utilisant un système d’équations différentielles à la logique identique à celle de Lotka (cf. supra, p. 54).
« Il est assez difficile de décrire en quelques mots la relation du travail de Dr. Lotka au nôtre, mais il peut être pleinement affirmé que son travail a été une grande inspiration pour mon propre travail, et le travail de mes collègues et étudiants. […] Ses Elements of Physical Biology ont été publiés en 1925, alors que mes premières études sur ce qu’on appelait alors biophysique mathématique, et qu’on appelle maintenant biologie mathématique, débutèrent en 1926. Je peux affirmer que c’est dans une large mesure la lecture de l’ouvrage du Dr. Lotka qui m’a donné l’inspiration pour mon propre travail ». Rashevsky à Mortimer Spiegelman, 28 février 1950, Boîte 1, Dossier 7, LPPU. Rashevsky était un physicien devenu biomathématicien à l’Université de Chicago de 1940 à 1964, où il supervisait une équipe de recherche et un programme doctoral (voir supra, p. 45n) ; il était également fondateur du Bulletin of Mathematical Biophysics. Tara Abraham (2004) offre la seule étude historique approfondie sur Rashevsky (voir également Cull 2007), mais elle ne semble pas avoir eu connaissance de ce lien important entre Lotka et Rashevsky.
« [Cette lettre] est simplement une note pour vous dire une nouvelle fois combien j’avais apprécié les divers articles que vous m’avez envoyés, et combien j’ai profité de votre Elements of Physical Biology. Je vous dois particulièrement la découverte de Wilhelm Ostwald, dont les travaux sur la nature et l’évolution de la culture, et particulièrement l’application du concept d’énergie à ce développement, m’ont été un véritable plaisir ». Leslie White à Lotka, 26 février 1949, Boîte 6, Dossier 2, LPPU. White fut président de l’American Anthropological Association en 1964. À noter que la conception énergétique de l’évolution culturelle de White inspira Marshall Sahlins, qui était son étudiant (Sahlins et Service, eds. 1960), avant que ce dernier ne revienne largement sur ses positions et devienne bien plus sceptique sur la portée de l’évolutionnisme biologique pour expliquer les phénomènes culturels, comme nous l’avons vu (Sahlins 1976).
« Reverence for life, in the […] sense of respecting ants and flowers, might be a handicap in the Darwinian struggle for existence. (And, since the reverencer tends to disappear, the ants may not be helped much in the long run.) But culture in which altruism abounds – because men do not think to behave like atomistic competitors or because men have by custom and law entered into binding social contracts – may have great survival and expansion powers ».
Voir Friedman (1995, pp. 16‑17), et notre discussion, infra, p. 132.
Voir Samuelson (1958 ; 1963, p. 235 ; 1965, 1967). Richard Goodwin (1913‑1996) a côtoyé Samuelson à Harvard. Goodwin s’aventure plus loin que Samuelson dans les spéculations sur la signification du transfert de modèles biologiques à l’économie : « Dans une certaine mesure, la similitude est purement formelle, mais pas entièrement. Il m’a depuis longtemps semblé que le problème de Volterra de la symbiose de deux populations – en partie complémentaires, en partie hostiles – est utile pour comprendre les contradictions dynamiques du capitalisme, spécialement quand ces contradictions sont présentées sous une forme plus ou moins marxiste ». (Goodwin 1967, p. 55).
Les articles sur une thématique biologique rédigés dans les Proceedings à compter de son élection à la National Academy of Sciences, et de son Prix Nobel (1970), furent Samuelson (1971, 1974, 1977a, 1977b, 1978a, 1978b) et Joel Yellin et Samuelson (1974). Quatre articles discutent la notion de valeur sélective telle que définie par R. A. Fisher dans son Genetical Theory of Natural Selection (1930). Ces articles sont une extension directe de son intérêt pour l’œuvre de Lotka, Samuelson confiant que de son point de vue Fisher avait « plagié Lotka sans vergogne » [unmercifully did plagariaze Lotka] dans son Genetical Theory of Natural Selection (1930) (Samuelson à Mokyr, 14 mars 2007, p. 2). Deux articles traitent des modèles d’oscillation de populations proies‑prédateurs à la Lotka‑Volterra. Un dernier article coécrit avec l’économiste Yellin analyse la dynamique des populations humaines et l’évolution du rapport des sexes en fonction du taux de fécondité, ce qui avait déjà été étudié par Lotka.
William Shockley était un physicien (prix Nobel 1956) qui avait fini par défendre des vues racistes en biologie.